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Critique de cprevost


Avec « Je ne t'ai pas vu hier à Babylone » Antonio Lobo Antunes pousse à l'extrême son travail d'écriture. Il nous donne à lire un livre doublement difficile, parce qu'il révèle l'intériorité âpre de personnages profondément détruits et parce qu'il utilise des procédés littéraires inédits.
Ce livre, de chapitres en sous chapitres, de minuit à cinq heures du matin, de personnage en personnage, égraine des heures interminables d'insomnie. C'est un véritable labyrinthe polyphonique dans lequel Antonio Lobo Antunes nous invite à entrer. Tous les soliloques s'apparentent à d'épouvantables cauchemars dans lesquels il est vraiment difficile de démêler le vrai du faux. Tous les protagonistes sont liés à « l'homme », personnage principal de ce livre. Tous les protagonistes sont aussi des êtres profondément détruits. « L'homme », cet abject agent de la police politique de Salazar, spécialiste des liquidations et tortures, veille, il semble craindre la vengeance de ses anciens collègues. Il songe à sa soeur aînée qui l'a élevé et qu'il a perdue de vue, il voit et revoit interminablement le couvercle du cercueil qui s'abat et écrase le visage de sa mère. La mort de celle-ci, alors qu'il était encore enfant, a provoqué un traumatisme aux conséquences funestes. Anna Emilia, maîtresse de « l'homme » et femme d'un policier bestialement assassinée par son amant, songe à sa fille suicidée à quinze ans après le meurtre de son père. Alice, femme de « l'homme », délaissée et frustrée de son désir de mère, revoit son terrible père propriétaire terrien et revit l'avortement qui lui a été imposé par son mari. Des gens blessés par la vie, malades de leur enfance, des vies tristes, végétatives, animales ; des images infiniment douloureuses de mort, de tortures, de violences, d'abandon, de rejet, de meurtre, d'avortement, de solitude – mêlant confusément, à l'aube de la vieillesse, en forme de bilan, passé et présent – tourmentent sans répit tous les acteurs de ce drame.
Chaque narrateur – une seule, longue et unique phrase par chapitre – prend la parole. Ce sont de longs monologues non linéaires, répétitifs, sans cesse interrompus, obsessionnels (poupée, chêne vert, boucle d'oreille, bicyclette, coups de cuillère sur une boite de fer blanc, planètes éteintes…). le propos est parfois incohérent, celui d'un malade mental ? le texte est fracturé, complexe et servi par une ponctuation difficile. Un réseau de métaphores monomaniaques – chiens, oiseaux, arbres – passe dans le récit d'un personnage à l'autre ; les morts prennent la parole ; faut-il envisager la possibilité d'une narratrice unique ? Anna Emilia, au dernier chapitre, revendique ce rôle et affirme qu'elle a menti. Lobo Antunes lui-même aussitôt et très brièvement – à la Hitchcock –apparaît.
« Je ne t'ai pas vu hier dans Babylone » est d'une lecture difficile, mais c'est le prix à payer pour suivre au plus prêt les pensées des personnages. On ressent leur douleur, leurs angoisses, leur solitude, leur dérèglement. On entrevoit la possible banalité de la monstruosité. Certes, on gagne en lucidité mais on ne retrouve pas, me semble-t-il et c'est là ma seule réserve, tout ce qui fait la richesse, la beauté habituelle de la langue de Lobo Antunes.

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