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Critique de andman


andman
22 septembre 2018
Âgée de quatre-vingt-dix ans, Marceline Loridan-Ivens s'en est allée cette semaine. Sa compagne de tous les jours l'année de ses seize ans, lui aura finalement octroyé un sursis de… 74 ans. La grande faucheuse a parfois, et c'est heureux, d'étonnants ratés !

D'avril 1944 à mai 1945, Marceline a connu plusieurs univers concentrationnaires : d'abord l'immense camp d'extermination de Birkenau en Pologne (situé à 3 kilomètres d'Auschwitz), puis les camps de concentration de Bergen-Belsen et de Raguhn en Allemagne, et enfin le camp-ghetto de Terezin près de Prague libéré par l'armée soviétique le 9 mai 1945.
Seulement 3% des 76 500 juifs de France déportés de Drancy à Auschwitz-Birkenau, sont revenus de l'enfer nazi. Seuls les plus vigoureux, ceux dans la force de l'âge, avaient une chance infime de sauver leur peau.
Dans le wagon plombé qui les emmenait vers le grand Est, la jeune Marceline entend son père lui dire qu'elle rentrera peut-être un jour de cet effroyable voyage mais que lui, en raison de son âge, ne reviendra pas. Prémonition, lucidité, réalisme : Szlama Rozenberg a survécu 9 mois à Auschwitz et serait probablement mort en février 1945 à Gross-Rosen, un camp situé au nord de la Pologne.

“Et tu n'es pas revenu”, rédigé sous forme de lettre, est un témoignage bouleversant de Marceline à feu son père. Ce père à la prophétie funeste dont la présence aurait été si précieuse pour l'aider à se reconstruire dans les années d'après-guerre.
Ce récit, rédigé avec la journaliste Judith Perrignon, est d'un format court ; les deux femmes avaient probablement à coeur d'éviter au maximum tout pathos. Le pari est gagné. Si le quotidien dans les camps est d'une épouvantable brutalité, les années de l'immédiat après-guerre où l'opinion publique se désintéresse du sort des déportés sont évoquées avec justesse ainsi que le parcours de vie de Marceline qui va à l'essentiel. Ce livre-témoignage traitant de l'horreur absolue est conçu avec intelligence et se lit donc d'une traite.
En seconde partie du livre, un dossier d'une trentaine de pages rédigé par Annette Wieviorka vient apporter un éclairage précis sur la Shoah. Prenant appui sur la lettre de Marceline à son père, l'historienne explique à grand renfort de dates et de chiffres les conséquences de la “Solution finale” mise au point par les dignitaires nazis le 20 janvier 1942. Elle s'interroge aussi sur le devoir de mémoire qui, avec la disparition des derniers survivants des camps de la mort, risque malheureusement de s'étioler dans le temps.

"Auschwitz-Birkenau. Camp De concentration et d'extermination allemand nazi (1940-1945)" (appellation de l'UNESCO) est aujourd'hui un musée du souvenir. Je l'ai visité il y a peu de jours. Alors que notre petit groupe s'arrêtait devant une potence, le guide polonais, un ancien professeur de français de Cracovie aujourd'hui à la retraite, nous raconta alors le fait profondément choquant qui s'est déroulé devant ses yeux quelques semaines auparavant :
“Un groupe d'hommes au crâne rasé, billet d'entrée en poche, est venu déposé une gerbe de fleurs au pied de la potence où fut pendu Rudolph Höss le 16 avril 1947, avant de sortir précipitamment du camp.
Höss était le commandant d'Auschwitz de 1940 à 1943, celui-là même qui s'attacha avec zèle à rationaliser au maximum l'industrialisation de la mort au sein de ce vaste complexe de 170 hectares.''

Vous aviez raison Marceline de toujours vous méfier de la bête immonde qui aujourd'hui encore se manifeste où elle peut et jusqu'à votre dernier souffle vous êtes restée sur le qui-vive sachant depuis l'enfance que “l'antisémitisme est une donnée fixe, qui vient par vague avec les tempêtes du monde, les mots, les monstres et les moyens de chaque époque”.

Puisse votre parcours de vie et ce livre-testament empreints de dignité pousser les jeunes générations à ne jamais oublier l'origine des périodes les plus sombres de notre Histoire !
Votre père aurait été fier de vous Marceline, de votre courage exemplaire.

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