Les Chefs-d'Oeuvre de l'Art au XIXe siècle - L'école française de Delacroix à Regnault

Puissant coloriste, Rousseau n'avait pas besoin de la couleur pour rendre sa pensée: le dessin lui suffisait. Il eut au plus haut degré le sentiment des valeurs, et c'est ce qui donne à la moindre de ses œuvres une grande force lumineuse; qu'il emploie la plume, le crayon, le bistre, la terre de momie ou tout autre mode de peinture monochrome, l'œuvre vit et parle comme si les moindres nuances du ton local y étaient scrupuleusement rendues. Dans les derniers temps de sa vie, cette maîtrise absolue du dessin l'avait absolument conquis et il songeait à abandonner la peinture proprement dite. Il la considérait comme une superfétation, sinon comme un mensonge, car c'est elle, en réalité, qui travestit le plus la vérité.

L'œuvre de Théodore Rousseau (1812-1S67) peut être considérée comme la plus haute expression intellectuelle de l'art issu du mouvement qui détermina le triomphe du naturalisme. Révolutionnaire, il le fut à son heure, mais il sut faire le meilleur usage de la liberté reconquise. Son ambition n'était pas de créer une religion nouvelle ; il se contenta de répudier les pratiques de ses contemporains basées sur la convention ou le mensonge, et de rétablir le culte de la nature suivant le rite qu'avaient fondé les grands paysagistes du passé.

Nous l'avons dit, le mouvement insurrectionnel qu'on a appelé le romantisme, et auquel on rattache sans grande raison les tendances diverses de littérateurs et d'artistes réunis seulement par une haine commune du faux goût classique, ce mouvement eut pour promoteurs, dans le paysage, des hommes de second ordre : après Georges Michel, ce fut le tour de Paul Huet.

Le premier en date de nos révolutionnaires, Georges Michel (1763-1843) n'est, en effet, qu'un descendant de la pure race hollandaise, et c'est avec raison qu'on l'a surnommé le Ruysdaël de Montmartre. Eut-il une influence réelle sur ses contemporains? Il est permis d'en douter. Sa gloire de précurseur n'a été consacrée que de nos jours; l'honneur de l'avoir découvert revient en grande partie à la critique. De son temps personne, sinon sans doute quelques peintres qui se gardèrent bien de le dire, n'eut conscience des vérités nouvelles ou rénovées que prêchait cet apôtre dans des toiles dont la plupart ne connurent jamais les honneurs du cadre.