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Critique de afriqueah


Pierre Loti connaissait déjà l'Asie dont il a décrit les exactions commises durant la prise de Hué par les troupes françaises, il a aussi fait escale sur la côte du Malabar en Inde, en prise aux mouvements anti anglais, lorsque l'Académie française ou il a été élu (contre Zola) l'envoie en mission porter en mains propres au maharajah du Travancore la croix de chevalier.
Il embarque donc pour l'Inde, et écrit « l'Inde sans les anglais » dont est extrait ce petit livre, livre choc. Loti y décrit les beautés des dentelles de marbre qui malgré leur rigidité de pierre « jouent le fragile et l'éphémère », les mousselines des saris des femmes, les couleurs rose, orange et jaune, les colliers de jasmin, les éléphants de pierre, les escaliers multiples, les poudres rose, jaune et vert jetées sur les passants…

Style lyrique non pas dans un souci touristique frivole, mais pour un projet spirituel, car pour lui, grand voyageur, l'Inde représente le berceau de la pensée humaine, dépositaire de la sagesse aryenne, et puisque l‘espoir en la chrétienté est affaiblie, sans doute le lieu d'une croyance en « une prolongation indéfinie des âmes ». Projet spirituel, donc, adoubé par la rencontre de brahmanes, caste la plus élevée de prêtres et de savants, cependant enténébrés par les rites et les observances et donc un peu « fin de race » et de plus, tellement assurés par les siècles de leur supériorité (les européens étant assimilés aux intouchables) que des abimes les séparent de Loti.

Le Rajasthan en cette année 1900 est en proie à la famine, les mauvaises récoltes jettent des foules d'agonisants dans la ville d ‘Udaipur, et Pierre Loti raconte. Sans faux fuyants. Des enfants moribonds sur des sacs de blé gardés par des soldats, des mendiants sans espoir, des paysans venus en ville mais ne pouvant être nourris, car ils ne sont pas citoyens de la ville. Les forêts débordent de singes, de sangliers et d'oiseaux, mais les animaux sont respectés et ne peuvent être mangés, et l'agonie continue, imperturbable.
Le maharajah nourrit bien entendu ses éléphants et ses vaches sacrées, mais aussi les crocodiles à qui les serviteurs lancent des gigots et des morceaux de viande, mais aussi les panthères apprivoisées,« sournoises et comiques »aux petits bonnets brodés, et même les pauvres de sa ville. Cependant il ne peut pas nourrir tout le peuple des campagnes, c'est ainsi.

Je pleure sur cette humanité décrite par Loti, d'autant que je lis son livre en étant moi même au Rajasthan, les mêmes mendiants attendant la mort avec l'espoir qu'accepter leur sort dans cette vie leur donnera accès à une meilleure vie après leur disparition et la même misère côtoyant les fastes et les beautés absolues.

Car les beautés sont absolues, ravageuses, multiples dans cette partie de l'Inde, et l'intelligence des éléphants décrite par Loti semble sauver la sauvagerie des humains.
Infatigables, paisibles, ils comprennent et bercent les humains, le long des « palais terrifiants assis au bord du vide. » Comme des seigneurs, les éléphants défilent, peints en or jusqu'au bout de la trompe, adornés de perles et de colliers de pierres précieuses. (Ceci a bien changé, les éléphants aujourd'hui sont plus des esclaves obligés de trimballer les touristes que des idoles comme en 1900, mais c'est un autre sujet)
Pourquoi lire un thriller si on a un Pierre Loti, dont l'écriture émerveille quand il décrit les horreurs des sacrifices sanglants jouxtant la sagesse hindoue, les réflexions sur la mort invitant à penser à l'éternité, ainsi que les beautés du marbre ciselé incrusté de lapis lazuli et de turquoise?
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