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Critique de berni_29


Pêcheur d'Islande, c'est une histoire qui parle d'amour, de mer et de mort.
Quand on est breton, on sait que ces trois thèmes sont étroitement liés dans notre univers social et culturel, comme le déhanchement des vagues qui viennent frénétiquement se fracasser contre les rochers sombres et tordus. Les tourments du coeur ne ressemblent-ils pas à ces vagues qui se brisent dans leur dernier élan désespéré ?
Étrangement, « la mer », traduit en breton, offre « Ar Mor », ce qui a donné le Morbihan, petite mer, et les Côtes d'Armor, pour faire plus sexy en communication que les Côtes du Nord. Je dis étrangement, car la consonnance sonne avec celle de la mort. le meilleur exemple est peut-être à mon sens La légende de la mort d'Anatole le Braz, qui sous-tend l'idée d'une malédiction inexorable comme ici d'ailleurs .
Ici, traversé par la lumière des mots et l'épure des phrases, le roman est tout simplement magnifique.
Cette histoire d'amour nous amène à Paimpol en Bretagne au XIXème siècle dans les pas de Gaud Mével, cette jeune fille secrète et sensuelle et Yann Gaos, pêcheur fier et taiseux.
Bien sûr, lorsqu'on est breton, on pourrait déceler quelques invraisemblances qui n'altèrent pas pour autant la qualité du récit. Ainsi il est probable que, compte tenu de l'époque où se situe le récit, Yann ne parlait sans doute pas quotidiennement le français mais plutôt le breton, alors que Gaud, ayant séjourné à Paris, à l'inverse parlait sans doute bien le français et mieux que Yann. Cette différence n'apparaît pas dans le récit. J'imagine que les deux protagonistes sont bilingues, Yann devait bredouiller un français tâtonnant et j'aurais aimé voir comment ce détail se situe dans leur relation. En clair, en quelle langue ces deux êtres épris d'un même horizon, se fuyant et se courant tour à tour, se parlaient-ils ? Cet aspect des choses était-il une difficulté supplémentaire dans l'approche de leur relation ?
S'agissant de l'audace et de la sensualité du personnage de Gaud, il rompt bien sûr avec l'image traditionnelle des femmes bretonnes, image plutôt ancrée à cette époque dans une pudeur très forte du corps et du coeur. Il y a quelques jours, suite à une émission de France-Culture sur le thème de l'histoire du naturisme et du nudisme, j'ai découvert l'existence d'une affiche cocasse du début du vingtième siècle qui présente des bigoudènes outrées, s'offensant avec violence contre des baigneuses dénudées, c'est-à-dire que les tenues des belles naïades découvraient à peine leurs coudes et leurs genoux...
J'imagine que l'auteur a voulu puiser dans son fantasme personnel des matières inspirantes pour les mélanger aux personnages un peu exotiques que pourraient être les Bretons de l'époque.
La force de Pierre Loti, pour contrecarrer mon argument, est que Gaud a séjourné à Paris. Elle a un peu perdu de cette pudeur et de cette sobriété propres aux femmes bretonnes de l'époque. Ce point d'ailleurs pourrait m'être facilement discuté et en l'écrivant je m'aperçois qu'il ne tient pas forcément la route, qu'il peut être discutable. Je suis persuadé qu'il y a mille exemples prêts à être proposés pour évoquer ce contexte particulier de l'époque et ses nuances.
Si le personnage principal est bien la mer, il façonne le récit, lui donne force et sens. Dans l'affolement de ce paysage, Gaud et Yann surgissent et me prennent la main, j'ai couru les sentiers côtiers avec eux, j'ai pris la mer aussi comme on dit, avec ceux qu'on appelle les « Islandais ». Ils n'ont rien d'Islandais sauf à naviguer et pêcher dans les mers de là-bas, en revenir si possible, continuer d'aimer, retrouver des enfants qui ont grandi, découvrir les absents, ceux qui ne sont plus là... J'ai eu peur aussi au milieu de l'océan, moi je le dis, mais eux sont taiseux...
Ici dans le fracas de l'océan, j'ai aimé suivre leur périple amoureux. L'attente de Gaud m'a ému, silhouette fragile, debout entre terre et ciel.
Sur ce sentier, surgit dans le bruit de l'océan le porche de cette chapelle où figure la mémoire de ceux morts en mer.
La mer est un miroir, l'écho de deux coeurs qui battent nous reviennent dans la nasse des mots. Ici le soleil n'est jamais accablant, il sert juste à déchirer de temps en temps le ciel bas et lourd pour regarder ces deux visages qui se cherchent.
Parfois dans ce récit multiple, la mer prend le large vers des horizons exotiques, lorsqu'à cette époque les frontière de notre pays s'étendaient jusqu'en Indochine. Manche, Mer du Nord, Océan Indien, toutes les mers font autant rêver qu'elles effraient.
Est-ce la mer qui est cruelle ? Parfois l'océan devient un cimetière.
Pierre Loti est un véritable peintre des paysages et des coeurs pour les mélanger en une furieuse harmonie des sens. J'ai vu ce paysage, ces tons, ces nuances, j'ai vu ces personnages ballotés par les tourments du coeur sur ce sentier étroit des mots, à quelques encablures de la mer, de l'amour et de la mort...
J'ai aimé aussi la vieille Yvonne, qui protège ceux qu'elle aime et perd en même temps la mémoire. Elle ressemble à nos grands-mères. Ce personnage m'a totalement touché.
Et puis mes doigts se sont rouverts, peut-être à cause du froid, de l'attente, de la peur, de l'émotion, d'une crampe peut-être de les avoir serrés trop forts, les mains de deux personnages s'en sont échappées à travers les dernières pages remuées par le vent, les embruns et l'appel du large.
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