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Alain Buisine (Éditeur scientifique)
EAN : 9782253009153
219 pages
Le Livre de Poche (01/02/1973)
  Existe en édition audio
4.05/5   1075 notes
Résumé :
Pêcheur d'Islande a sans doute souffert de son succès, considérable, et l'on ne relit plus beaucoup cette histoire d'amour qui fit tant pleurer nos grands-mères. Le chef-d'oeuvre de Loti n'en recèle pas moins de nombreuses qualités. Avec une construction savante, soigneusement équilibrée, un style sobre, à la limite de l'épure ("La mer, la mer grise"), des phrases ciselées, polies comme des galets, Loti accomplit un véritable travail d'artiste et de peintre pour évo... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (199) Voir plus Ajouter une critique
4,05

sur 1075 notes
Pierre Loti - Pêcheur d'Islande - 1886 : «Pécheur d'Island» renforce cette litanie du désespoir que fut la littérature du 19ème siècle. En effet combien de vies déchirées, d'amour déçus, de catastrophes sociales furent mis en page à cette époque donnant l'impression d'une société dénouée de joie de vivre et de bonheur. Les hommes ici sont graves et réservés comme ce grand escogriffe de Yan qui ne semble communiquer qu'avec la mer dans laquelle chaque saison il lance sa ligne pour pêcher la morue. Car Yan est ce qu'on appelle un islandais, dès février il remonte avec la flotte bretonne dans les mers du nord pour arracher à son habitat naturel ce poisson qui salé garnit les gardes manger des familles désargentés. Mais ce n'est pas tout de risquer sa vie dans les flots froids et démontés de Terre-Neuve, il faut aussi pour tous ces pécheurs donner plusieurs années de leur vie au service militaire employés par la marine nationale sous les horizons lointains des pays colonisés. Sylvestre le meilleur ami de Yan, son petit frère de coeur, laisse sa vie dans des combats au Tonkin abandonnant une grand-mère ratatinée comme une pomme trop blette par le chagrin et la triste existence solitaire à venir. Et puis dans ce livre il y a Gaud (le diminutif de Marguerite), le seul rayon de soleil de l'histoire. Une beauté pleine de Vierge à l'enfant même si aucun marmot n'est encore né de son ventre. Une fille droite, instruite, qui se meurt d'amour pour la beauté sauvage de Yan, pour sa carrure, ses épaules rassurantes et pour la douceur qu'elle ressent derrière sa mâchoire volontaire. Mais lui qui semble dans sa vie n'épouser que la poupe des bateaux l'ignore, la tance de son regard sombre, la rejette même pendant des semaines et des mois par orgueil, par timidité. Et puis un jour ils finissent par s'unir et par confirmer ce grand amour qui les brule tous les deux de l'intérieur depuis si longtemps. Mais le sort est facétieux, la malédiction frappe souvent les gens heureux et quelques jours après cette union, c'est dans l'écume bouillonnante de l'eau glacée que Yan sera emporté à jamais. Pauvre Gaud que tout le monde pourra voir pendant des années attendre en haut de la falaise le retour impossible de celui qui devait l'aimer pour toujours. Les flots lui ont pris l'être aimé tout comme les rizières indochinoises ont pris Sylvestre dans la fleur de l'âge. La terre et l'eau unis comme deux éléments d'un champ de bataille qui engloutit implacablement les jeunes hommes génération après génération... magnifique
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Le tour de force de Pierre Loti est de nous offrir d'innombrables tableaux marins. C'est un livre pictural. Je n'ai pas eu l'impression de tourner des pages mais de me balader de tableaux en tableaux. Ses thèmes de prédilection : le soleil, la mer, les ciels et ses nuages, le vent…un peu à la Emile Nolde…

« Les nuages achevaient de se déplier en l'air, venant toujours de l'ouest, se superposant, empressés, rapides, obscurcissant tout. Quelques déchirures jaunes restaient seules, par lesquels le soleil envoyait d'en bas ses derniers rayons en gerbes. Et l'eau, verdâtre maintenant, était de plus en plus zébrée de baves blanches ».

Quelques paysages exotiques s'invitent dans cette exposition, voici en quelques traits brossés, l'Inde :

« A travers l'épaisseur des feuillages, il recevait l'ondée tiède, et regardait autour de lui les choses étranges. Tout était magnifiquement vert; les feuilles des arbres étaient faites comme des plumes gigantesques, et les gens qui se promenaient avaient de grands yeux veloutés qui semblaient se fermer sous le poids de leurs cils. le vent qui poussait cette pluie sentait le musc et les fleurs ».

Et des personnages pour faire une histoire, quand même, des hommes et des femmes en errance dans ce décor qui reste le personnage principal de l'oeuvre même si ceux-ci n'en sont pas moins campés superbement. Hommes et femmes de tous âges, des marins un peu sauvages, un peu rustres, mais graves, tout en retenue, entourés des grands silences de la mer ; des femmes en attente, soeurs, amantes, épouses, mères, grands-mères. Des femmes endeuillées, des femmes désespérées. Et une femme très amoureuse !

Voilà comment Pierre Loti nous immerge totalement dans cette Bretagne du 19ème siècle, une Bretagne où le goémon traine sur les sentiers répandant son odeur saline, une Bretagne d'ajoncs verts sur la lande rase, une terre ponctués de grands calvaires aux carrefours des chemins, cette Bretagne aux maisons aux toits de chaume pointus comme des huttes celtiques, cette Bretagne si dépendante de la mer, la grande nourrice et la grande dévorante, aimée et crainte. Voilà comment il nous fait côtoyer une communauté de pêcheurs de Paimpol qu'il dépeint avec humanité. Puis, dans ce décor d'un réalisme troublant, il réussit à nous toucher par une histoire d'amour certes surannée mais vibrante et tragique. Son pinceau, c'est sa plume. Quelle magnifique écriture, étonnamment picturale donc…dans ma lecture murmurée, les teintes pastel des bords de mer s'éclairaient, le ballet des nuages modifiait sous mes yeux, au fil des mots, la couleur de la mer, les corps musclés des marins sur leur réduit minuscule bravaient les tempêtes. Quand il m'arrivait de regarder les eaux de pêche, même les poissons frétillaient devant mes yeux ébahis.

« Quelquefois, avec un coup de queue brusque, toutes les morues se retournaient en même temps, montrant le brillant de leur ventre argenté; et puis le même coup de queue, le même retournement, se propageait dans le banc tout entier par ondulations lentes, comme si des milliers de lames de métal eussent jeté, entre deux eaux, chacune un petit éclair ».

Les islandais sont ces pêcheurs bretons surnommés ainsi car ils partaient sur les côtes d'Islande pendant plusieurs mois, dès février jusqu'aux étés sans nuits, pour cette fameuse pêche à la morue. Des gens de vent et de tempête. le livre débute avec une telle pêche dans les eaux islandaises, en pleine nuit, alors que le jour y est éternel mais d'une lumière pâle, « qui traine sur les choses comme des reflets de soleil mort » et ôtant aux contours de toute chose leurs nuances.
« A ce moment, l'éternel soleil, qui avait un peu trempé son bord dans les eaux, recommença à monter lentement. Et ce fut le matin... »

Nous assistons au changement de quart, Yann et Sylvestre prennent le relais d'autres marins sur le pont. Deux presque frères, deux amis. Yann est un jeune homme au coeur bon, mais dont la nature est restée un peu sauvage, au regard superbe et un peu farouche; « aux prunelles brunes légèrement fauves, courant très vite sur l'opale bleuâtre de ses yeux », comme si en lui bonheur et douleur étaient réunis en une osmose complexe. Sylvestre, jeune homme doux, aimé et attendu par sa grand-mère de 76 ans est angoissé par son départ imminent aux combats sur les lointaines terres d'Asie. Yann, lui, est attendu avec espoir et amour par Gaud, la belle Gaud. Une fille honnête, droite, instruite qui se meurt d'amour pour lui. Yann l'ignore, la rejette durement dans un premier temps. Ils finiront par se trouver et s'unir, mais il n'y aura pas de fin heureuse…

Une histoire sombre et tragique dans laquelle la vie est fragile, la Mer, mais aussi la Terre, engloutissant ces pauvres hères. Les rituels religieux, immuables, offrent un semblant d'espoir à ces fins tragiques, tel que celui du saint-sacrement, procession lente de femmes, et du prêtre venant bénir les navires en partance. Mais qu'on se s'y méprenne pas, seuls les éléments, la Nature, les paysages subsistent et sont les témoins indifférents aux drames humains.

Dans la liste des thèmes évoqués au tout début de ce billet vous remarquerez que j'ai mis le soleil avant la mer. le soleil est en effet omniprésent, presque davantage que la mer, peint sans cesse en des teintes diverses, il est même à un certain moment, alors que Yann est en Islande, Sylvestre de retour sur les mers de Chine, un point de ralliement entre ces trois terres : le même soleil, couchant et flamboyant en Asie, un peu voilé au petit matin en Islande, haut et clair à midi sur Paimpol…C'est l'élément qui relie les personnages d'une même contrée. Ce passage est d'une grande virtuosité. le couchant, sanglant, fait écho à l'agonie de Sylvestre, tandis que le soleil de l'aube, pâle, timide et caché, entre en résonance avec le désarroi et la timidité de Yann. Alors qu'il est haut et flamboyant à Paimpol, pour les vivants en attente, pour ceux qui espèrent en vaquant à leurs occupations. le même soleil sans être tout à fait le même, le même soleil, témoin de tranches de vie entre des personnes reliées mais si éloignées, le même soleil écho des sentiments vécus…

« au couchant, on eût dit l'incendie de tout un monde, avec du sang plein les nuages; par le trou de ce sabord ouvert entrait une large bande de feu rouge, qui venait finir sur le lit de Sylvestre, faire un nimbe autour de lui. ... A ce moment, ce soleil se voyait aussi, là-bas, en Bretagne, où midi allait sonner. Il était bien le même soleil, et au même instant précis de sa durée sans fin; là, pourtant, il avait une couleur très différente; se tenant plus haut dans un ciel bleuâtre; il éclairait d'une douce lumière blanche la grand'-mère Yvonne, qui travaillait à coudre, assise sur sa porte. En Islande, où c'était le matin, il paraissait aussi, à cette même minute de mort ».

Ce livre est Magnifique…


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Pêcheur d'Islande, c'est une histoire qui parle d'amour, de mer et de mort.
Quand on est breton, on sait que ces trois thèmes sont étroitement liés dans notre univers social et culturel, comme le déhanchement des vagues qui viennent frénétiquement se fracasser contre les rochers sombres et tordus. Les tourments du coeur ne ressemblent-ils pas à ces vagues qui se brisent dans leur dernier élan désespéré ?
Étrangement, « la mer », traduit en breton, offre « Ar Mor », ce qui a donné le Morbihan, petite mer, et les Côtes d'Armor, pour faire plus sexy en communication que les Côtes du Nord. Je dis étrangement, car la consonnance sonne avec celle de la mort. le meilleur exemple est peut-être à mon sens La légende de la mort d'Anatole le Braz, qui sous-tend l'idée d'une malédiction inexorable comme ici d'ailleurs .
Ici, traversé par la lumière des mots et l'épure des phrases, le roman est tout simplement magnifique.
Cette histoire d'amour nous amène à Paimpol en Bretagne au XIXème siècle dans les pas de Gaud Mével, cette jeune fille secrète et sensuelle et Yann Gaos, pêcheur fier et taiseux.
Bien sûr, lorsqu'on est breton, on pourrait déceler quelques invraisemblances qui n'altèrent pas pour autant la qualité du récit. Ainsi il est probable que, compte tenu de l'époque où se situe le récit, Yann ne parlait sans doute pas quotidiennement le français mais plutôt le breton, alors que Gaud, ayant séjourné à Paris, à l'inverse parlait sans doute bien le français et mieux que Yann. Cette différence n'apparaît pas dans le récit. J'imagine que les deux protagonistes sont bilingues, Yann devait bredouiller un français tâtonnant et j'aurais aimé voir comment ce détail se situe dans leur relation. En clair, en quelle langue ces deux êtres épris d'un même horizon, se fuyant et se courant tour à tour, se parlaient-ils ? Cet aspect des choses était-il une difficulté supplémentaire dans l'approche de leur relation ?
S'agissant de l'audace et de la sensualité du personnage de Gaud, il rompt bien sûr avec l'image traditionnelle des femmes bretonnes, image plutôt ancrée à cette époque dans une pudeur très forte du corps et du coeur. Il y a quelques jours, suite à une émission de France-Culture sur le thème de l'histoire du naturisme et du nudisme, j'ai découvert l'existence d'une affiche cocasse du début du vingtième siècle qui présente des bigoudènes outrées, s'offensant avec violence contre des baigneuses dénudées, c'est-à-dire que les tenues des belles naïades découvraient à peine leurs coudes et leurs genoux...
J'imagine que l'auteur a voulu puiser dans son fantasme personnel des matières inspirantes pour les mélanger aux personnages un peu exotiques que pourraient être les Bretons de l'époque.
La force de Pierre Loti, pour contrecarrer mon argument, est que Gaud a séjourné à Paris. Elle a un peu perdu de cette pudeur et de cette sobriété propres aux femmes bretonnes de l'époque. Ce point d'ailleurs pourrait m'être facilement discuté et en l'écrivant je m'aperçois qu'il ne tient pas forcément la route, qu'il peut être discutable. Je suis persuadé qu'il y a mille exemples prêts à être proposés pour évoquer ce contexte particulier de l'époque et ses nuances.
Si le personnage principal est bien la mer, il façonne le récit, lui donne force et sens. Dans l'affolement de ce paysage, Gaud et Yann surgissent et me prennent la main, j'ai couru les sentiers côtiers avec eux, j'ai pris la mer aussi comme on dit, avec ceux qu'on appelle les « Islandais ». Ils n'ont rien d'Islandais sauf à naviguer et pêcher dans les mers de là-bas, en revenir si possible, continuer d'aimer, retrouver des enfants qui ont grandi, découvrir les absents, ceux qui ne sont plus là... J'ai eu peur aussi au milieu de l'océan, moi je le dis, mais eux sont taiseux...
Ici dans le fracas de l'océan, j'ai aimé suivre leur périple amoureux. L'attente de Gaud m'a ému, silhouette fragile, debout entre terre et ciel.
Sur ce sentier, surgit dans le bruit de l'océan le porche de cette chapelle où figure la mémoire de ceux morts en mer.
La mer est un miroir, l'écho de deux coeurs qui battent nous reviennent dans la nasse des mots. Ici le soleil n'est jamais accablant, il sert juste à déchirer de temps en temps le ciel bas et lourd pour regarder ces deux visages qui se cherchent.
Parfois dans ce récit multiple, la mer prend le large vers des horizons exotiques, lorsqu'à cette époque les frontière de notre pays s'étendaient jusqu'en Indochine. Manche, Mer du Nord, Océan Indien, toutes les mers font autant rêver qu'elles effraient.
Est-ce la mer qui est cruelle ? Parfois l'océan devient un cimetière.
Pierre Loti est un véritable peintre des paysages et des coeurs pour les mélanger en une furieuse harmonie des sens. J'ai vu ce paysage, ces tons, ces nuances, j'ai vu ces personnages ballotés par les tourments du coeur sur ce sentier étroit des mots, à quelques encablures de la mer, de l'amour et de la mort...
J'ai aimé aussi la vieille Yvonne, qui protège ceux qu'elle aime et perd en même temps la mémoire. Elle ressemble à nos grands-mères. Ce personnage m'a totalement touché.
Et puis mes doigts se sont rouverts, peut-être à cause du froid, de l'attente, de la peur, de l'émotion, d'une crampe peut-être de les avoir serrés trop forts, les mains de deux personnages s'en sont échappées à travers les dernières pages remuées par le vent, les embruns et l'appel du large.
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Je viens de lire, après des années d'attente, ce beau roman de mer et d'amour, dans l'édition de 1923, malheureusement préfacée en 1988, chez Folio, par Jacques Dupont sur près de 50 pages ennuyeuses et qui donnent l'issue de l'histoire ce qui est dommage. Cette préface serait mieux placée en guise de postface.

Sinon, dès les premières pages, embarquement réussi à bord du bateau, avec des personnages puissants ou faibles, campés dans un décor d'aventure humaine, en pleine mer. Avec un début pareil, on attend une montée en puissance encore plus forte, exigence de lecteur gâté sans doute, mais l'histoire de mer va se noyer dans un roman d'amour très désuet, avec, me semble-t-il, trop de longueurs, d'atermoiements, de crochets vers des histoires parallèles quelque peu essoufflantes.

C'est néanmoins un beau classique à lire, avec des descriptions de mer, de nuages, de vent, de tempête, mais aussi de printemps, de fleurs, de landes verdoyantes qui sont très élaborées, ciselées dans ce granit breton comme les calvaires qui émaillent le paysage.

La pêche est trop peu évoquée, les beaux sentiments sont là, il manque quand même la plume d'un Mauriac pour leur donner une ampleur qu'ils ne parviennent pas à atteindre.

Quelques pages de voyages intéressantes en direction du Tonkin pour y voir périr quelques jeunes français oubliés de tous aujourd'hui.

La mer est-elle le personnage principal? L'auteur semble le rappeler sans cesse, alors pourquoi ne lui a-t-il pas donné une place plus grande encore, les morues ne pouvant toutefois pas concurrencer la baleine blanche, ni Yann être Achab?
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J'ai toujours ressenti une attirance pour l'océan. Son immensité bleutée, sa beauté mystérieuse et changeante, son odeur fraîche et iodée, le bruit des vagues m'incitent à m'apaiser, lâcher-prise, rêver.

Il y a quelques temps maintenant, j'ai créé une liste de livres sur le thème de l'océan intitulée « A l'inverse des hommes, l'océan se retire pour que la mer garde ses poissons » dans laquelle j'ai ajouté de nombreuses suggestions de lecteurs. Je reviens régulièrement y piocher un livre. Après le révoltant « les mensonges du Sewol », le poétique « Ultramarins », et le troublant et funeste « Mers mortes », mon choix s'est porté vers la littérature classique et « Pêcheurs d'Islande » de Pierre Loti. J'ai lu beaucoup de grands classiques de la littérature du XIXème siècle plus jeune, mais je n'avais encore jamais rien lu de cet auteur.

*
« Pêcheurs d'Islande » a des parfums d'enfance, j'ai aimé retrouver cette Bretagne qui m'est chère et mes souvenirs des côtes bretonnes se sont mélangés aux descriptions de l'auteur, la lande, les plages balayées par le vent, les chemins rocailleux, les tempêtes terrifiantes au large, le ciel sombre et menaçant.
J'ai aimé ce texte très coloré, sensoriel qui rend l'océan si vivant, si attirant, si majestueux mais si tragique.

*
L'intrigue est belle dans sa simplicité, généreuse dans ses sentiments, poignante dans les émotions que j'ai ressenties. Elle nous parle d'amour et d'amitié, du temps qui passe et du temps qui reste, de la solitude, de l'angoisse de ne plus revoir celui qui est parti au loin, risquer sa vie. Vivre dans l'absence et l'incertitude du retour des pêcheurs devait être une terrible épreuve.

« Les nuages inférieurs étaient disposés en une bande d'ombre intense, faisant tout le tour des eaux, emplissant les lointains d'indécision et d'obscurité. Ils donnaient l'illusion d'un espace fermé, d'une limite ; ils étaient comme des rideaux tirés sur l'infini, comme des voiles tendus pour cacher de trop gigantesques mystères qui eussent troublé l'imagination des hommes. »

*
L'histoire se déroule au XIXème siècle dans la région de Paimpol, en Bretagne du Nord.
Pierre Loti décrit les campagnes de pêche à la morue dans les mers hyperborées d'Islande, les conditions de travail extrêmement rudes sur les goélettes. Il n'oublie pas de décrire la vie quotidienne des femmes restées à la maison.

La vie était organisée autour du calendrier de la pêche à la morue.
De février à août, les pêcheurs bretons que l'on surnommait les Islandais, quittaient leur famille pour de grandes campagnes de pêche. Il fallait beaucoup de courage et de robustesse à ces hommes pour partir, affronter la mer mauvaise et les eaux glaciales. le travail y était épuisant, la pêche dangereuse, mais la paye était bonne.
Pendant ces longs mois d'absence, leurs familles attendaient, contemplaient la mer, espérant et priant pour leur retour. Il arrivait souvent que l'océan, capricieux, se fasse rétribuer pour ses largesses en emportant chaque année dans ses abysses, quelques bateaux et leurs marins.

*
Les personnages principaux de cette histoire sont plutôt bien développés pour un petit roman. On s'attache très vite à eux et c'est avec regret que j'ai refermé le livre.

Pierre Loti donne vie à de beaux personnages masculins.
La majeure partie de l'histoire est centrée sur le jeune Sylvestre parti faire son service militaire en Indochine et surtout, son cousin, Yann Gaos, un marin honnête et fier, un colosse au coeur tendre, qui, à l'approche de la vingtaine, est poussé au mariage. Cependant, Yann maintient que la seule femme de sa vie sera la mer, à jamais.

Mais, même si c'est un magnifique roman de marins, de très beaux rôles ont été attribués aux femmes d'Islandais. Leur vie, souvent marquée par le dénuement le plus complet et l'isolement, n'est pas facile non plus à cette époque.

« … la chaumière lui sembla plus désolée, la misère plus dure, le monde plus vide, — et elle baissa la tête avec une envie de mourir. »

Gaud Mével et la vieille Yvonne m'ont forcément touchée.
Malmenées par la vie, leur quotidien a un profond goût d'amertume, d'espoir, d'attente, d'abandon, de souffrance et de silence.

« le temps était resté beau sur ce jour des séparations ; au large seulement une grosse houle lourde arrivait de l'ouest, annonçant du vent, et de loin on voyait la mer, qui attendait tout ce monde, briser dehors. »

Leurs printemps ne sont que peine, anticipant le départ des hommes. La douceur des mois d'été ne peut cacher la solitude, l'inquiétude et la peur chevillée au corps. Et lorsque les premiers bateaux reviennent au port au tout début de l'automne, l'attente devient insupportable. Et le dernier bateau arrivé, il ne reste plus que le vide de ceux qui sont restés dans les entrailles de l'océan.

« Et comme elle se sentait loin de chez elle !... Mon Dieu, tout ce trajet qu'il faudrait faire, et faire décemment, avant d'atteindre le gîte de chaume où elle avait hâte de s'enfermer — comme les bêtes blessées qui se cachent au terrier pour mourir. C'est pour cela aussi qu'elle s'efforçait de ne pas trop penser, de ne pas encore bien comprendre, épouvantée surtout d'une route si longue. »

*
Très visuelles, les descriptions de la côte bretonne, de l'océan sont de toute beauté. On ressent l'air du large, la lumière qui s'étire à l'infini, les mouvements de la houle. L'écriture est douce, envoûtante.
L'émotion vous saisit, grisé par la beauté du texte, la justesse des mots, la magie de cette peinture qui prend vie devant vous.

« le soleil, déjà très bas, s'abaissait encore ; donc c'était le soir décidément. A mesure qu'il descendait dans les zones couleur de plomb qui avoisinaient la mer, il devenait jaune, et son cercle se dessinait plus net, plus réel. On pouvait le fixer avec les yeux, comme on fait pour la lune.
Il éclairait pourtant ; mais on eût dit qu'il n'était pas du tout loin dans l'espace ; il semblait qu'en allant, avec un navire, seulement jusqu'au bout de l'horizon, on eût rencontré là ce gros ballon triste, flottant dans l'air à quelques mètres au-dessus des eaux. »

La prose de l'auteur est sobre et cette image d'une vie simple, laborieuse et honnête est d'autant plus bouleversante.

*
Pour conclure, j'ai aimé cette histoire tragique entre terre et mer, les belles descriptions de l'océan. L'intrigue, rythmée entre les départs et les retours des pêcheurs, laisse la place à de beaux portraits. Les personnages m'ont plu pour leur générosité, leur force, leur sensibilité et leur réserve naturelle.
J'aurais peut-être aimé davantage éprouver la rudesse de la vie des pêcheurs bretons, mais ce n'est qu'un minuscule détail.
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critiques presse (1)
OuestFrance
12 décembre 2023
Cette histoire d’amour malheureuse forge la légende des terre-neuvas, forçats des océans qui partaient durant de longs mois pour des campagnes de pêche dangereuses dans les mers froides de Terre-Neuve ou d’Islande.
Lire la critique sur le site : OuestFrance
Citations et extraits (196) Voir plus Ajouter une citation
Ils étaient cinq, aux carrures terribles, accoudés à boire, dans une sorte de logis sombre qui sentait la saumure et la mer. Le gîte, trop bas pour leurs tailles, s’effilait par un bout, comme l’intérieur d’une grande mouette vidée ; il oscillait faiblement, en rendant une plainte monotone, avec une lenteur de sommeil. Dehors, ce devait être la mer et la nuit, mais on n’en savait trop rien : une seule ouverture coupée dans le plafond était fermée par un couvercle en bois, et c’était une vieille lampe suspendue qui les éclairait en vacillant.
Il y avait du feu dans un fourneau ; leurs vêtements mouillés séchaient, en répandant de la vapeur qui se mêlait aux fumées de leurs pipes de terre. Leur table massive occupait toute leur demeure ; elle en prenait très exactement la forme, et il restait juste de quoi se couler autour pour s’asseoir sur des caissons étroits scellés au murailles de chène. De grosses poutres passaient aud−dessus d’eux, presque à toucher leurs têtes ; et, derrière leurs dos, des couchettes qui semblaient creusées dans l’épaisseur de la charpente s’ouvraient comme les niches d’un caveau pour mettre les morts. Toutes ces boiseries étaient grossières et frustes, imprégnées d’humidité et de sel ; usées, polies par les frottements de leurs mains. Ils avaient bu, dans leurs écuelles, du vin et du cidre, qui étaient franches et braves. Maintenant ils restaient attablés et devisaient, en breton, sur des questions de femmes et de mariages.
Contre un panneau du fond, une sainte Vierge en faïence était fixée sur une planchette, à une place d’honneur. Elle était un peu ancienne, la patronne de ces marins, et peinte avec un art encore naïf. Mais les personnages en faïence se conservent beaucoup plus longtemps que les vrais hommes ; aussi sa robe rouge et bleue faisait encotre l’effet d’une petite chose très fraîche au milieu de tous les gris sombres de cette pauvre maison de bois. Elle avait dû écouter plus d’une ardente prière, à des heures d’angoisses ; on avait cloué à ses pieds deux bouquets de fleurs artivicielles et un chapelet. Ces cinq hommes étaient vêtus pareillement, un épais tricot de laine bleue serrant le torse et s’enfonçant dans la ceinture du pantalon ; sur la tête, l’espèce de casque en toile goudronnée qu’on appelle suroît (du nom de ce vent de sud−ouest qui dans notre hémisphère amène les pluies).
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Elle l'aimait assez pour oser le lui avouer en face. Elle lui dirait : " Vous m'avez cherchée quand je ne vous demandais rien ; à présent, je suis à vous de toute mon âme si vous me voulez ; voyez, je ne redoute pas de devenir la femme d'un pêcheur, et cependant, parmi les garçons de Paimpol, je n'aurais qu'à choisir si j'en désirais un pour mon mari ; mais je vous aime, vous, parce que, malgré tout, je vous crois meilleur que les autres jeunes hommes ; je suis un peu riche, je sais que je suis jolie ; bien que j'aie habité dans les villes, je vous jure que je suis une fille sage, n'ayant jamais rien fait de mal alors, puisque je vous aime tant, pourquoi ne me prendriez vous pas ? "
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La petite lampe, qui brûlait seule à cette heure avancée, éclairait avec un peu de mystère ses épaules et sa poitrine, sa forme admirable qu'aucun œil n'avait jamais regardée et qui allait sans doute être perdue pour tous, se dessécher sans être jamais vue, puisque ce Yann ne la voulait pas pour lui...
Elle se savait jolie de figure, mais elle était bien inconsciente de la beauté de son corps. Du reste, dans cette région de la Bretagne, chez les filles des pêcheurs islandais, c'est presque de race, cette beauté-là ; on ne la remarque plus guère, et même les moins sages d'entre elles, au lieu d'en faire parade, auraient une pudeur à la laisser voir. Non, ce sont les raffinés des villes qui attachent tant d'importance à ces choses pour les mouler ou les peindre...
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Elle se savait jolie de figure, mais elle était bien inconsciente de la beauté de son corps. Du reste, dans cette région de la Bretagne, chez les filles des pêcheurs islandais, c'est presque de race, cette beauté là; on ne la remarque plus guère, et même les moins sages d'entre elles, au lieu d'en faire parade, auraient une pudeur à la laisser voir. Non, ce sont les raffinés des villes qui attachent tant d'importance à ces choses pour les mouler ou les peindre...
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La Marie projetait sur l’étendue une ombre qui était très longue comme le soir, et qui paraissait verte, au milieu de ces surfaces polies reflétant les blancheurs du ciel ; alors, dans toute cette partie ombrée qui ne miroitait pas, on pouvait distinguer par transparence ce qui se passait sous l’eau : des poissons innombrables, des myriades et des myriades, tous pareils, glissant doucement dans la même direction, comme ayant un but dans leur perpétuel voyage. C’étaient les morues qui exécutaient leurs évolutions d’ensemble, toutes en long dans le même sens, bien parallèles, faisant un effet de hachures grises, et sans cesse agitées d’un tremblement rapide, qui donnait un air de fluidité à cet amas de vies silencieuses. Quelquefois, avec un coup de queue brusque, toutes se retournaient en même temps, montrant le brillant de leur ventre argenté ; et puis le même coup de queue, le même retournement, se propageait dans le banc tout entier par ondulations lentes, comme si des milliers de lames de métal eussent jeté, entre deux eaux, chacune un petit éclair.
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Vidéo de Pierre Loti
En partenariat avec l'Opéra National de Bordeaux, rencontre avec Alain Quella-Villéger autour de l'oeuvre de Pierre Loti. Entretien avec Christophe Lucet.
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