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Critique de audelagandre


« Obsolète », qui n'est plus en usage, désuet, périmé. Qui est irréparable, inutilisable, irrécupérable, perdu, fini.

« Obsolète » projette le lecteur dans le futur, en 2224 où la notion d'obsolescence programmée s'applique aux femmes de 50 ans. Dans ce monde, à cause de l'inaction des générations précédentes face au réchauffement climatique, la société doit repenser sa façon de vivre pour survivre. Il est question d'un événement appelé le Grand Effondrement, qui a, en quelque sorte, remis les compteurs à zéro et obligé les habitants de la planète Terre à repenser leur façon de vivre et de consommer. En 2224, les citoyens du monde n'ont plus le choix : ils doivent économiser les ressources pour survivre. Les villages sont désormais en autosuffisance énergétique, l'eau est devenue aussi précieuse que l'or et nécessite d'être absolument préservée. Pour cela, « La Gouvernance_territoriale », impose l'économie de ressources, l'autosuffisance énergétique, et la valorisation de l'équilibre écologique. Une « société idyllique » pacifique règne, allant jusqu'à réguler les émotions via des Bracelets Modérateurs d'Humeur (BMH).

Mais, dans « Obsolète », la chute dramatique de la fertilité menace la survie de la population, amenant la Gouvernance à promulguer une règle : le recyclage des femmes de 50 ans, remplacées par des plus jeunes, potentiellement plus fertiles. le récit tourne autour de cette notion de remplacement, explorant les implications pour ces femmes devenues « obsolètes ». Sophie Loubière examine alors comment la société normalise ce processus du « Grand Recyclage » à travers des portraits de plusieurs femmes, dont le personnage central, Rachel. À travers cette loi devenue la norme, elle décortique les usages d'une nouvelle société, comment elle évolue, par quels biais et selon quels modes de pensée.

En premier lieu, je voudrais dire mon admiration pour l'idée brillante qu'a eue Sophie Loubière, en concevant cette idée de l'obsolescence de la femme dans « Obsolète ». Se poser la question de l'avenir de la femme dans 200 ans fait sens, certainement dictée par les problématiques auxquelles font face les femmes de 2024. À l'heure où, aux États-Unis, dans certains États, les femmes n'ont plus le droit de disposer librement de leur corps, et où, en France, on a récemment entendu l'expression de « réarmement démographique », la question n'a jamais été aussi actuelle. Encore faut-il se donner les moyens de ses ambitions… Quelque 500 pages sur le sort des femmes auraient été certes intéressantes, mais à mon sens, insuffisantes.

Or, dans ce roman futuriste, et peut-être visionnaire, Sophie Loubière se donne les moyens de ses ambitions. « Obsolète » est un roman de grande envergure, extrêmement ambitieux, dans lequel l'auteure a fait un véritable travail de réflexions, et de recherches (recherches réellement bluffantes) où elle raconte à quoi ressemble le monde en 2224. Pour coller au plus près de la réalité, faire sentir et ressentir aux lecteurs l'ambiance et le cadre dans lesquels évoluent les humains, il fallait le plonger au coeur de cette nouvelle société. Il fallait l'immerger, lui faire découvrir comment la société s'est organisée pour préserver les ressources, et obtenir la conscience de chacun dans ce processus de recyclage global. En ce sens, « Obsolète » est le roman le plus intelligent et le plus travaillé qu'il m'ait été donné de lire dans le domaine de l'imaginaire. Sophie Loubière a pensé à tout : elle a ouvert tous ses chakras de l'imagination, en s'appuyant sur des techniques ou des objets déjà existants pour construire ce monde futuriste. Quel énorme travail, elle a accompli là !

Le résultat est impressionnant de créativité, d'inventivité, et offre un cadre parfait pour traiter du sort des femmes, qui, dans le roman ne servent plus à grand-chose après 50 ans, puisqu'elles ne peuvent plus donner la vie, et à qui on promet une sorte de retraite dorée dans un endroit décrit comme le paradis sur terre. « Le Grand Recyclage est une étape de la vie. Un passage vers une autre source de joie, un horizon de lumière de tous les possibles. »

Imaginez un peu : vous êtes mariée, vous avez des enfants, un mari que vous aimez, un métier, une vie qui vous satisfait et hop, à 50 ans, vous dégagez et vous laissez votre place à une femme plus jeune, et plus fertile ! Vous devenez « Obsolète » parce que vous ne pouvez plus faire d'enfants, vous êtes ménopausée ! (oh le vilain mot !) Votre existence ne se résumait qu'à cela : repeupler la planète. Quant à votre famille, et vos propres enfants, ils devront composer avec cette nouvelle femme de substitution. Puisqu'on ne parvient pas à « réparer les femmes », il est normal de remplacer les « vieilles » ménopausées par des jeunes dans la fleur de l'âge. « Qu'elles se retrouvent bientôt sur le trottoir tels deux toasteurs mis au rebut était dans l'ordre des choses ». Quid des hommes dans cette affaire ? J'ai aimé le regard percutant sur ces petits rois que l'on éduque en leur faisant croire qu'ils sont essentiels au bon fonctionnement du monde. « Qu'est-ce qu'une femme, au fond, sinon un homme non accompli ? » Je vous laisse le découvrir…

L'une des interrogations centrales d'« Obsolète », qui m'a occupée durant toute ma lecture, concerne l'endroit où sont envoyées « les retirées », le Domaine des Hautes-Plaines. La construction du roman, les apartés en italique avec un personnage en particulier, les inserts liés à la propagande de la Gouvernance, ainsi les titres de parties comprenant un verbe à l'infinitif contribuent significativement à s'interroger sur les desseins planifiés pour ces femmes. Endoctrinement ? Réalité ? Propagande ? Fantasme ? Utopie ? Leurre ? Sophie Loubière pose ici une vraie question éthique et le lecteur est invité à s'interroger sur la nature de cette nouvelle réalité.

Parallèlement, que cache exactement ce nouvel Eden, paradis céleste où tout n'est que calme, ordre, et sincérité ? Où tout le monde accepte le fonctionnement imposé par la Gouvernance et où personne ne semble questionner l'ordre établi ? Sauf peut-être… Rachel qui, bien que sereine, se pose de plus en plus de questions… d'autant qu'un événement étrange va venir bousculer cette belle apathie générale ! L'écrivaine n'oublie pas de tenir son lecteur en haleine en semant les petites graines du doute et en réservant quelques surprises de taille à son lecteur.

À travers « Obsolète », Sophie Loubière compare deux époques : la nôtre, celle de tous les excès « Toujours plus loin, toujours plus vite, toujours plus féroce » et celle de Rachel, débarrassée de tout ce qui est superflu. Ainsi, les enfants dits « les apprenants » apprennent le monde tel qu'il existait avant eux : l'omniprésence du numérique, l'empreinte carbone, l'absence de confidentialité des données, l'ubérisation de la société, la « croissance éternelle, au détriment des ressources de notre planète. » de quoi s'interroger très sérieusement sur notre fonctionnellement actuel…

Alors ? Êtes-vous prêts à découvrir les bio-réfrigérateurs, l'aquaponie, le unwashing, le Bracelet Modérateur d'Humeur, l'art-thérapie, la stimulation visuelle, les cours d'empathie ? Êtes-vous en passe d'être vous aussi « retirée » parce que vous allez avoir 50 ans ou que vous les avez déjà ? L'enterrement de vie de maman, l'euthanasie raisonnée et le centre communal d'humidification vous attendent… Soyons des « Déesses jetables, avec panache. » !

« Obsolète » est une exploration futuriste sur l'obsolescence des femmes, un roman d'anticipation qui dégage un formidable souffle créateur ! Sophie Loubière construit avec brio son histoire autour de cette problématique, interrogeant la société fictive et par extension, notre propre réalité contemporaine. La fiction offre une réflexion percutante sur le devenir de la femme et de la fertilité, mettant en lumière les inégalités de genre et les dérives, s'il y en a, d'une société centrée sur le remplacement des femmes « obsolètes. »

Brillant, subtile, lucide et tout à fait captivant !
Lien : https://aude-bouquine.com/20..
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