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Critique de Bobby_The_Rasta_Lama


"Dream on my dear...
It's a sleep from which you may not awaken."
(Dead Can Dance, "The Ubiquitous Mr. Lovegrove")

En tant qu'écrivain, Mr. Lovegrove possède vraiment un rare don d'ubiquité... cela fait d'ailleurs tout son charme.
On le trouve tantôt dans le passé, tantôt dans le futur, en visite privée à Baker Street 221b, en mission officielle à Arkham, ou encore à parcourir incognito le plus grand "gigastore" du monde.
J'étais vraiment curieuse de "Days".
Dans ses pastiches, Lovegrove se débrouille à merveille en écrivant "comme Doyle" : il a le style, le vocabulaire, l'humour intelligent, et ce roman était une bonne occasion de le découvrir enfin en écrivant simplement "comme Lovegrove".
Le livre date de 1997, et j'essaie de comprendre ce qui a motivé les éditions Bragelonne pour le ressortir à nouveau à la lumière du jour en 2021. Avant l'avènement de l'internet, on aurait pu qualifier "Days" de pur roman d'anticipation, mais Lovegrove n'a pas pu imaginer les possibilités du virtuel, ni les changements dans nos habitudes d'acheter qui en découleront. Vu sous cet angle, ce roman qui a déjà un bon quart de siècle s'est transformé en une sorte d'uchronie, ce qui le rend d'autant plus intéressant à l'heure actuelle.

"Tout ce qui est vendable est chez Days, et tout ce qui est chez Days sera vendu" : voici le principe de base de ce luxueux temple commercial de 700 hectares, où on peut trouver tout ce que le coeur désire : depuis une boîte d'allumettes rarissime, en passant par casseroles, cravates, armes, ordinateurs, machines agricoles, plantes, animaux sauvages... ou même êtres humains. Days est un rêve devenu réalité ; un symbole inébranlable de la prospérité du pays et de ses prospères habitants.
Il n'est pas évident d'obtenir la "carte de Days", ce rectangle magique en plastique qui vous autorise à y dépenser tout votre argent. Mais même si vous ne possédiez qu'une pauvre carte Aluminium bas-de-gamme, vous serez toujours un élu, un privilégié qui peut regarder de haut les misérables lèche-vitrines agglutinés devant, qui se consomment eux-mêmes d'envie et de frustration. Vous, vous pouvez parcourir à volonté les 666 immenses rayons en quête de votre bonheur, limité tout au plus par la "couleur" de votre carte.

Lovegrove ne propose guère plus que l'autopsie d'une journée ordinaire dans ce magasin. Ceci dit, une journée n'est jamais tout à fait "ordinaire" chez Days, et celle-ci le sera encore moins.
A commencer par Frank, qui décide de jeter l'éponge au bout de trente trois ans de bons et loyaux services. Frank est employé comme "fantôme", un gardien qui se fond dans la masse et repère tout et tous ceux qui peuvent nuire à Days. C'est un fin limier, peut-être le meilleur, mais la machinerie huilée de Days l'a doucement transformé en "fantôme" véritable, dont la substance se limite aux quatre murs du gigastore. Il veut s'en sortir avant qu'il ne s'efface pour de vrai. Il commence la journée avec la ferme intention de donner sa démission avant sa fin. C'est loin d'être simple, d'autant plus que le travail ne manquera pas, ce jour-là.
Puis voici Linda, qui a tout sacrifié pour obtenir sa carte Silver. Ses voisines sont vertes de jalousie derrière leurs rideaux, en la regardant partir pour la première fois chez Days... mise sur son trente et un, et en taxi, s'il vous plaît ! Malgré un mari un peu récalcitrant comme compagnon, elle sait que rien ne gâchera le plaisir de ce grand jour. Elle a tellement hâte de découvrir la caverne magique et ses usages codifiés ! Et elle ne sera pas déçue....
Et puisque ce monstre commercial de génie doit être dirigé par quelqu'un, la troisième ligne narrative nous fait monter dans le royaume au septième - et dernier - étage, d'où les sept frères Days gèrent avec la régularité d'une horloge l'héritage de leur père Septimus.

Le chassé-croisé de tout ce beau monde est passionnant. J'admets que l'histoire numérologique des sept frères m'a moins enchantée, mais elle a son importance, car toute cette belle harmonie qui repose assez ingénieusement sur le chiffre sept va s'écrouler peu à peu au cours de la journée... et le lecteur aura la chance d'y assister.
Lovegrove nous livre en prime une bonne (à la fois drôle et terrifiante) satire du consumérisme, avec ses cartes "privilège", les soldes VIP et les "ventes flash", capables de transformer les clients distingués en guerriers barbares, qui ne savent plus ce qu'ils achètent ni pourquoi, mais ils sont prêts à tout pour l'avoir. Bien sûr, Lovegrove voulait aller ad absurdum et imaginer le pire, alors toute ressemblance avec les bagarres pour un pot de Nutella à - 70% en 2018, la ruée sur le PQ en 2020, et toute autre chose qui vient à l'esprit reste purement fortuite.
Rien de fantastique, presque rien d'une SF, seulement une journée dans un grand magasin imaginaire ; un récit faussement banal qui peut parfois bercer le lecteur par de distrayantes descriptions de l'opulence de Days, et par une lénifiante visite guidée du mécanisme de ses rouages... pour le tirer ensuite violemment de ses rêveries. 4/5, le discret Lovegrove,"l'une des figures de proue de la nouvelle SF britannique" (dixit la quatrième de couverture), m'a convaincue une fois de plus.
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