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Critique de HordeDuContrevent


Peut-être que la Terre essaye de nous dire quelque chose…cette phrase est souvent prononcée pour expliquer certains phénomènes naturels inquiétants. Jetée en pâture aux journalistes par le jeune Miles qui vient de découvrir le plus grand calamar au monde dans la baie dans laquelle il vit, cela est plus étonnant, quasi mystique, et va donner un éclat particulier à cet été étrange durant lequel l'adolescent va découvrir d'autres espèces inédites dans cet écosystème qu'il connait si bien. de là à le faire passer pour une sorte de messie, il n'y a qu'un pas…

Miles est un garçon particulier, très attachant, incollable sur le phénomène immuable des marées. Ce phénomène d'aspiration de la Lune et du Soleil crée à la surface de l'océan un renflement perpétuel, et pourtant « n'importe qui vous dira où se trouve le Soleil, mais demandez où se situent les marées ; seuls les pêcheurs, les ostréiculteurs et les navigateurs vous répondront sans hésiter ». Et, avons-nous envie d'ajouter après la lecture de ce beau livre, ce jeune garçon de 13 ans, tellement petit en taille qu'il semble avoir moins de 10 ans, intarissable sur l'écosystème dans lequel il vit, et si attentif à son environnement qu'il découvre des trésors à marée basse. Surtout cet été-là. Cela commence par un calamar géant, puis un ragfisch, enfin une étoile de mer géante. Des rencontres inédites qui laissent présager un bouleversement de l'écosystème. Un été obscurci également par le divorce vers lequel semble s'acheminer ses parents. Un été marqué enfin par les montées d'hormones, les fantasmes et les envies, analysés et partagés avec son seul ami Phelps. Et l'amour aussi.

Miles est profondément attaché à sa baie à l'eau si claire qu'on y voit le lit de coquilles vides des palourdes blanches à l'infini. Si attaché qu'il en est enthousiasmant, impossible de ne pas avoir envie de partager sa passion pour les océans :
« Il n'y a pas une goutte d'eau dans l'océan, pas même dans les abîmes les plus profonds, qui ne connaisse et ne réagisse aux forces mystérieuses qui créent les marées. Comment pourriez-vous lire cette phrase, bâiller et éteindre la lumière ? »

Il est profondément attaché à Florence, vieille dame atteinte de la maladie de Parkinson, qui vit seule dans un vieux bungalow sur pilotis dans lequel la puanteur de la marée basse pénètre dans sa maison pleine de courants d'air, masquant « l'odeur de moisi des vieux livres cartonnés et, plus récemment, des effluves d'urine ». le déclin de la vieille dame, véritable amie qui le perce à jour mieux que quiconque, est abordée avec beaucoup de sensibilité et de délicatesse.

L'histoire est ténue et l'essentiel n'est pas là. L'essentiel est dans cet océan aimé, presque chanté avec lyrisme. de multiples espèces nous sont tour à tour présentées, avec leurs caractéristiques, leurs habitudes, leurs spécificités. Ces multiples détails pourraient faire l'objet d'une énumération érudite, un peu fastidieuse, il n'est est rien, c'est en réalité la voix de Miles que nous entendons, son parler franc, son humour, ses métaphores fraiches et drôles :

«Ces bernacles géantes de dix centimètres qu'on voit le long de la côte se tapent des bites de quarante centimètres.

« Les soleils de mer sont les plus grandes étoiles de mer au monde. Il se peut qu'on ait devant nous un des plus gros spécimens de la planète. J'expliquai que les soleils de mer sont les grizzlis des vasières. — Les autres créatures marines flippent quand elles les sentent arriver. Les concombres de mer s'écartent de leur chemin en rampant, les coques se mettent à bondir et les dollars de sable s'enfouissent dans le sable encore plus vite que d'ordinaire ».

Et il convoque tous les sens pour nous faire comprendre, nous faire aimer ce qu'il connait si bien et le distingue des garçons du même âge :
« Il n'y avait pas de vent, aucune voix ; on entendait juste le crachotement des palourdes, le sifflement discret de l'eau qui se retire entre les graviers, et, de temps à autre, un battement d'ailes ».

Ce livre est un très beau et atypique livre sur l'adolescence, véritable raz-de-marée dans la constitution de notre identité. Marées hautes suivies de longues marées basses d'où il nous est permis, si nous y sommes attentifs, de ramasser des trésors qui fondent notre essence, notre moi le plus intime, des choses qui bouleversent notre écosystème. Jim Lynch nous narre les marées des émotions adolescentes, cet ascenseur émotionnel, bordé de longues plages de silence, avec humour, délicatesse et justesse. Un roman initiatique entrelacé à une fable écologique, un roman qui fait du bien !

Je ne résiste pas à poser ce poème de Jacques Charpentreau pour conclure, poème offert par notre bretonne préférée Gaëlle (@Saschka) :

La mer s'est retirée
Qui la ramènera ?
La mer est démontée
Qui la remontera
La mer est emportée
Qui la rapportera ?
La mer est déchaînée
Qui la rattachera ?
Un enfant qui joue sur la plage
Avec un collier de coquillage.
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