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Critique de le_Bison


Viens, assieds-toi, prends-toi un tabouret, je t'offre une bière, tu veux ? Presque minuit, l'heure des chauves-souris et des chats gris qui fouillent dans les poubelles de ce boui-boui. Viens, n'aie pas peur du noir, j'aime la pénombre, ça dissimule ma tristesse. Qu'est-ce que tu prends ? Une Sierra Nevada, jolie. le silence s'installe autour du comptoir, un instant évaporé loin du brouhaha de la piste de danse où les gazelles noires, de leur pagne coloré, bouge leur arrière-train de façon provocante, ces filles habillées comme si elles n'étaient pas habillées, on voit tout gratuitement, mais je ne vais pas m'étaler ici, autrement on va encore dire que moi j'exagère toujours et que parfois je suis impoli sans le savoir...

Tu veux une deuxième bière mon histoire est longue et parler me donne toujours soif, à croire que mes mots viennent du désert. Pas si longue que ça, quoique ça fait longtemps que je n'ai pas revu mes cours d'anatomie, non mon histoire dure trois jours. Tu t'en souviens toi, de ces trois longues journées du samedi 19 mars 1977 au lundi 21 mars 1977. Oui, je vois, tu y étais aussi. A Brazzaville ? Moi, j'étais à Pointe-Noire, fier de mon uniforme d'écolier, de mes baskets à la mode Bruce Lee et de ma chemisette à l'effigie de notre bon camarade président Marien Ngouabi. Je me souviens que Papa Roger écoutait, sous le manguier, La Voix de la Révolution Congolaise, une bouteille de vin rouge à ses pieds. Maman Pauline devait préparer à manger, peut-être qu'elle faisait ses beignets, recette appliquée de cette jeune béninoise qui les vend aux abords du marché. Mais depuis plusieurs heures, il ne passait que de la musique soviétique. Alors de son Grundig Papa Roger est passé sur La Voix de l'Amérique, parce qu'il est bien connu que l'Amérique sait ce qui se passe parce qu'elle a des espions partout. C'est là qu'on a appris que notre bon camarade président Marien Ngouabi s'est fait lâchement assassiner à 14H30, une heure où la sueur dégouline pour qui ne fait pas la sieste... et que Papa Roger a recraché son vin rouge...

Car ce soir, le Congo a peur. La radio ne le dit pas mais je le sens dans les yeux de Maman Pauline ou la sueur de Papa Roger. Dans la rue, les cris des enfants en train de jouer ont été remplacés par des tirs de kalashnikov. D'ailleurs, il n'y a plus d'enfants. Plus aucun klaxon venu claironné à la nuit tombée ; Il n'y a plus de voitures non plus, sauf des convois militaires ou miliciens venus ramassés des individus apeurés ou des corps fusillés. Même dans les bars où les plus belles femmes noires s'assoient attendant qu'un vieux aux cheveux gris viennent lui poser sa main sur sa croupe en lui demandant ce qu'elle boit, ces corps d'ébène se retrouvent figés dans la stupeur et la tristesse. Ils ne bougent plus alors que des corps comme ça, luisant de sueur et de chaleur, sont là justement pour faire pétiller le regard des messieurs mais je ne vais pas m'étaler ici encore une fois, autrement on va encore dire que moi j'exagère toujours et que parfois je suis impoli sans le savoir...

Alors j'allume une dernière fois la radio, fini les beaux discours, place à la musique. Les cigognes s'envolent. Et là, je revois enfin le sourire de tous ces beaux culs immortels danser devant mes yeux.
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