Seuls les poissons morts suivent le courant.
On m’avait toujours dit qu’il ne fallait pas écouter aux portes et que se mêler de ce qui ne nous regarde pas ne pouvait qu’apporter du malheur. Avec le recul, je reconnais que c’était un sage conseil. Mais comme tout gamin de cet âge, ce genre de choses me passait loin au-dessus de la tête. J’avais entendu mon prénom, alors que je passais près du bureau de mon père, il était donc logique que je reste pour savoir ce que j’avais fait – pas que j’aie été un enfant terrible, mais la curiosité avait été la plus forte. C’est là que j’avais entendu mon père dire à ma mère qu’il savait parfaitement que je n’étais pas son fils. Je n’avais pas écouté le reste.
Pour être honnête, les études ont bon dos. En réalité, il y a six ans, je me suis tiré parce qu’accepter la vérité était insurmontable.
Parfois, j’aimerais appuyer sur le bouton pause, me défouler, penser à moi. Prendre le temps, tout simplement. Puis une fois mes jauges d’énergies gonflées à bloc, repartir pour la routine « boulot, maison, dodo ». Contrairement à ce qu’on pourrait croire, j’aime avoir mes habitudes et que les choses soient cadrées, constantes, sans surprise.
C’est rassurant.
Tous les psys du monde le diront : il est normal de vouloir évoluer dans une configuration familière. Attention, je ne suis pas psychorigide ou maniaque du contrôle ; c’est juste que les surprises et moi, on ne fait pas bon ménage.
Ici, les gars et moi sommes connus comme le loup blanc, chaque employé du bar sait où va notre préférence. Dex aime le gin – honnêtement, je ne sais pas comment il fait, ce truc est juste dégueulasse. Mon autre pote, Julian, ne jure que par le whisky, quant à moi, c’est le vin. Logique, pour un mec ayant passé son enfance dans un domaine viticole.
C’est l’occasion rêvée d’aller boire un coup avec mes collègues. En fait, c’est devenu un rituel, une habitude à laquelle je ne dérogerais sous aucun prétexte. À chaque fois que l’un d’entre nous boucle un dossier ou remporte un procès, les autres lui payent une tournée. Et comme aujourd’hui j’ai fait fort, la nuit va être longue et bien arrosée !