AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Kirzy


Kirzy
21 novembre 2021
Ce qui frappe dès les premières pages, ce sont la spontanéité, la drôlerie et l'énergie avec laquelle Maryam Madjidi raconte son adolescence à Drancy et ses déboires corporels liés à sa tignasse ingérable, son monosourcil « barre de shit », sa pilosité envahissante, caractéristiques héritées de ses origines iraniennes. C'est rare de voir décrit le temps flottant de l'adolescence avec autant de justesse, d'autant plus qu'il y a peu de récit qui s'empare du féminin en banlieue.

On rit beaucoup, mais derrière la cocasserie des anecdotes, émergent la profondeur et la subtilité à dire l'horreur ordinaire du déterminisme social vécu à hauteur d'enfant, notamment avec l'épisode, terrible, de la classe de neige où la jeune Maryam débarque sans avoir la tenue adéquate.

« Ils avaient un look d'enfer, prêts à défier les sommets et les pentes. Moi, j'avais l'air de quoi ? J'étais habillée comme pour aller chaque vendredi matin au collège Henri-Rouanet en cours d'EPS. Tous les élèves étaient regroupés devant le car qui devait nous mener sur les pistes. Tous me regardaient. Ils étaient sincèrement surpris et ce qui mettait un frein à la raillerie habituelle, c'était la pitié qu'ils ressentaient à me voir plantée comme ça : mes baskets Atemi à moitié enfoncées dans la neige qui me mouillait déjà les chaussettes, ma doudoune pas assez chaude pour les montagnes en altitude, mon bas de survêt' qui à la première chute serait totalement trempé. Cette simple tenue trahissait toutes les vérités que je cherchais à dissimuler. Elle me mettait à nu devant le regard de cette assemblée d'élèves et de profs. A cet instant, je n'étais plus habillée, j'étais à poil devant eux. J'ai presque eu envie de mettre les mains sur mon pubis et mes seins. C'était obscène. Plus que ma pauvreté, elle dévoilait mon ignorance. Elle montrait que non seulement j'étais pauvre mais qu'en plus je n'étais jamais allée à la neige de ma vie, que je ne savais même pas qu'il fallait une tenue spécifique. »

Maryam veut être comme les autres, elle ne veut plus de cette différence qui « dégage sa sale odeur », en permanence. Elle refuse ses origines, la culture de ses parents, sa pauvreté, sa banlieue. Elle ne rêve que de passer le périph'. Elle veut s'approprier son destin, s'ancrer dans la culture occidentale. Et pour prendre l'ascenseur social, elle fait le choix de l'école républicaine. Et c'est là que ça fait mal. L'auteure dénonce avec beaucoup d'énergie et de colère les failles du système scolaire français : dans les ZEP ( « zone à éducation pourrie » ) où se déploie une galerie effarante de professeurs dépassés ( « les guerriers vaincus » et les « guerriers fous » ) au point que je me suis posée la question de l'exagération romanesque tellement j'ai trouvé la charge violente, tout en sachant pertinemment que cela existe, malheureusement.

Et puis, il y a les pages glaçantes des trois semaines d'hypokhâgne à Fénelon, avant de capituler face à l'impossibilité de rattraper dix ans de scolarité en banlieue, sidérée de se voir éjectée du « gâteau de l'élite » alors qu'elle pensait y avoir droit au nom de l'égalité des chances et de ses excellents résultats précédents. Une rupture qui a engendré une conscientisation politique forte et un vrai déchirement identitaire pour celle qui a réussi au final à surmonter les adversités extérieures et intérieures, ses différentes identités réconciliées, apaisées, sans honte ni complexe. Oui, rien ne doit empêcher qui que ce soit de rêver à un envol en dehors de la place qui lui a été assignée à sa naissance.

Un récit authentique, clairvoyant sans superficialité, parfaitement équilibré entre colère et mélancolie, humour et gravité, qui touche et fait réfléchir.

Commenter  J’apprécie          13411



Ont apprécié cette critique (121)voir plus




{* *}