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Critique de Musa_aka_Cthulie


Alors déjà, résumer l'intrigue des Sept Princesses tient du véritable défi, vu que, comme d'habitude dans le théâtre symboliste de Maeterlinck, il n'y a justement pas d'intrigue, ou si peu. Une vieille reine et un vieux roi regardent régulièrement, souvent, dormir leurs sept petites-filles dont ils disent qu'elles sont malades - et qui dorment vraiment beaucoup - à travers une grande vitre. Arrive leur petit-fils, cousin des princesses, qu'ils semblaient attendre depuis une éternité ; en tout cas depuis des années. Aux paroles des grands-parents, on comprend que les sept princesses, dont les parents sont morts, s'alanguissent et s'étiolent toujours davantage dans le château des deux vieillards, sortant de moins en moins en moins, s'enfermant chaque jour davantage dans une pièce où elles dorment bien plus que de raison - de quoi affoler les grand-parents. le prince décide les vieillards à agir et se charge d'aller les réveiller...


Vous aurez compris que des jeunes filles qui dorment de façon peu naturelle et tout le temps, c'est une métaphore de la mort qui guette, qui se tient toute prête dans l'ombre, qui plane sur tout l'environnement des personnages - environnement qui lui-même montre des signes de déliquescence, mais aussi de départ pour un ailleurs (avec un bateau qui s'en va au loin, des cygnes, etc.). Rien d'étonnant à cela, la mort, la métaphore de la mort, c'est le grand sujet des huit premières pièces de Maeterlinck, et particulièrement à partir de L'Intruse. Ici, Maeterlinck joue aussi une fois de plus avec les motifs des contes de fées, et notamment (même si pas seulement) avec le conte de la Belle au bois dormant. Sauf qu'il a retourné, tordu si l'on peut dire, le coup du prince charmant qui réveille la princesse endormie (vous devinez probablement comment).


Ce qui est remarquable chez Maeterlinck, c'est que s'il a traité de façon à peu près évidente le sujet de la mort, et surtout dans L'Intruse, Les Aveugles, Les Sept Princesses, Intérieur et La Mort de Tintagiles, il a souvent utilisé des procédés scéniques bien différents. On pourrait avoir l'impression qu'il montre un peu toujours la même chose (et c'est pas totalement faux, au fond), mais c'est un pur dramaturge, qui s'est toujours posé dans ces pièces-là la question de la mise en scène, de la scénographie. Même si on peut penser ici à d'autres pièces à cause du château à l'ambiance mortifère, le décor en lui-même est très original. Ce ne sont pas les personnages qui parlent, le roi, la reine, le prince Marcellus, que le spectateur voit d'abord, mais essentiellement une grande pièce où se trouve un escalier à sept marches, chaque marche étant occupée par une des jeunes filles qui dort ; la jeune fille sur laquelle se focalise plus ou moins la pièce, Ursule (l'amoureuse du prince), se tenant sur la marche du milieu. C'est seulement à l'arrière de cette pièce que l'on peut voir une grande baie vitrée qui, c'est à souligner, ne s'ouvre pas, et à travers laquelle Marcellus et les deux vieillards regardent sans cesse, parlent, voire s'agitent. Et c'est seulement derrière eux trois qu'on peut apercevoir vaguement l'extérieur, avec un fleuve à l'aspect délétère.


On en revient bien entendu à ce fameux "théâtre du silence" dont on parle tout le temps à propos de Maeterlinck, les deux vieillards essayant à tout prix de ne pas éveiller les princesses, et s'efforçant (plus ou moins, à vrai dire) de chuchoter. C'est surtout la fonction de la reine d'être terrifiée à l'idée de les réveiller, ou, sans qu'elle le dise, à l'idée qu'elles ne se réveillent plus. C'est elle qui prend conscience de la présence de la mort qui plane sur le château, et en cela elle ressemble à certains personnages de L'Intruse et des Aveugles), le vieux roi se montrant confus, certes imprégné de l'ambiance mortifère qui règne, mais peu conscient de ce qui se joue. Quant au prince Marcellus, il refuse en quelque sorte ce que lui montre la reine, et se veut le libérateur des princesses - ce qu'il sera, mais...


Une des grandes qualités du théâtre symboliste de Maeterlinck, c'est d'être un théâtre d'atmosphère, et il sait manier les bons leviers pour que ça fonctionne - et l'atmosphère est donc bien sensible dans les Sept Princesses. Mais se pose finalement le problèmes des "trois lectures", dont Maeterlinck avait parlé à propos de L'Intruse, lectures qui sont adaptées à toutes ses pièces symbolistes (ou à peu près, je ne suis pas très sûre de moi pour un ou deux cas). Première lecture factuelle, seconde lecture métaphorique (la mort qui pèse et qui arrive pour de bon), troisième lecture... mystique. Alors, autant la lecture métaphorique me convient mais me laisse un rien sur ma faim pour Les Sept Princesses, autant la lecture mystique m'échappe quelque peu. le mysticisme de Maeterlinck est très personnel, imprégné certes de catholicisme, mais allant bien au-delà (c'est le cas de le dire). Or ici, un peu comme dans Les Aveugles mais de façon beaucoup plus marquée, il y a des références qui ne me sont pas du tout familières, dont la parabole des Dix Vierges - que j'avais quand même lue pour ma critique des Aveugles. Il est question, selon des exégètes de Maeterlinck, du désir de mort qui animerait Ursule (et ses soeurs, qui dorment aussi souvent qu'elle), ce que j'arrive à saisir. Mais aussi de l'accueil d'un époux , comme dans la parabole des Dix Vierges. Et là, j'avoue que je commence à perdre un pied, parce que je n'arrive pas bien à saisir ce que serait cet époux ; si c'est la Mort, je peux comprendre, mais c'est probablement et même certainement encore autre chose... et ça commence à moins m'intéresser, vu que ça reste très vague, voire confus. Il faut dire que je ne comprends pas grand-chose à la parabole des Dix Vierges, qui veillent pour aller à un festin et qui sont accueillies par l'époux et l'épouse, ou bien l'époux tout seul, ou bien le Seigneur... Passons.


Donc oui pour le théâtre "atmosphérique" des Sept Princesses, pour son ambiance mortifère, pour son jeu de références compréhensibles, pour sa métaphore de la mort imminente. Je suis moins emballée si je dois approfondir la lecture mystique en détail pour m'intéresser aux motifs du désir de mort et d'un au-delà mystérieux, d'une part, et par les dialogues un peu trop chargés de "oh ! oh !", d'autre part, qui m'ont rappelé les cris un tantinet excessifs de la Princesse Maleine. C'est cependant une pièce assez prenante, réellement intéressante, et particulièrement d'un point de vue strictement dramaturgique. Mais j'ai comme l'impression, alors que je l'aime bien, que je n'ai pas donné envie de la lire, avec mes histoires de parabole. Hum.
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