Citations sur La Fantaisie (13)
Très vite, elle confia au docteur Di Bonna, son psychiatre, avec lequel elle avait un entretien tous les deux jours, que si cette vague dépressive était la plus puissante de sa vie, elle en avait traversé d'autres depuis l'enfance. Elle s'était depuis toujours sentie ralentie par quelque chose, une ombre tenace, une sorte de monstre, hydre à sept têtes qui semblait être venue au monde avec elle pour repousser tout assaut de joie. (...)
Cet aveu d'antécédent permit au médecin d'aider sa patiente à comprendre qu'elle n'était pas plus responsable de sa maladie qu'un diabétique ne l'était de son dysfonctionnement glycémique. Il troqua l'image de l'hydre par celle du handicap : elle avait une jambe dans le plâtre et la société lui demandait de courir. Il fallait épouser la lenteur le temps de la guérison. Elle rentrerait dans la mêlée plus tard. Quand elle en sentirait la nécessité.
(p. 15-16)
Deux hommes (en l'occurrence ici un homme et une femme), c'est l'arrivée du doute, du double, de la joute, du soutien, de la moquerie. p. 158
Depuis des décennies les écoles de commerce, et pas seulement la leur, non, toutes, à tous niveaux, se révélaient les ignobles complices de la destruction d'une discipline dont la noblesse s'était perdue dans l'appât du gain. Oui, le commerce était une noble discipline et l'enseignement que leurs aînés prodiguaient n'était pas pour rien dans l'opprobre qu'il suscitait aujourd'hui. Ils en étaient responsables, même, autant que l'abruti qui avait inventé le mot 'négoce', dont l'étymologie neg-otium, négation du loisir, donnait envie de le pratiquer comme de se pendre.
(p. 123)
Sa grand-mère, en revanche, chez qui il allait souvent, abordait la misère de la nature humaine à grand renfort de facétie. Cette femme juive, pratiquante à sa façon, pouvait éclater de rire quand elle voyait Le Pen à la télé parler de détail de l'histoire. "Qu'il est con, mais qu'il est con !" décochait elle sans cesser de s'esclaffer, allant même, malgré son petit gabarit, jusqu'à l'imiter en se levant et en arpentant la pièce à la Charlie Chaplin.
Dès l'enfance, Mona a eu la sensation que vivre était un effort. Rien n'était naturel, dans 'vivre'. Pourtant, ses parents semblaient pratiquer cette activité le plus simplement du monde, inspirer, expirer, affronter les difficultés habituelles du quotidien sans autres préoccupations que de les surmonter.
(p. 44)
l’amour est-il un dieu fluorescent créé par l’homme pour attirer les mouches perdues dans la nuit ?
Je ne sais pas ce qu’on va devenir. On crèvera peut-être de cirrhose dans nos banlieues tourmentées, mais il faut récupérer le « je ne sais quoi » de Jonas, le « presque rien », le décalage, garder le pas de côté, vous voyez, la fantaisie….
Votre dépression, contrairement à la mienne, elle n’a pas dit son nom.
Lors de retrouvailles, certains silences dont des carrefours. On peut prendre l’embranchement vers la futilité ou celui, plus vertigineux, vers l’intime
Ce roman raconte l’histoire de Jonas peut-être, mais il en trimballe une autre, non écrite, intime, que ce texte, par sa simple existence, l'incite à «relire». Cette période ancienne surgit parfois dans ses rêves, déformée, imprégnée d’un voile de brume ou d’une lumière trop crue, inexacte et distordue. Cette «relecture» nocturne et inconsciente suffit à Sandre-Lévy. Il ne veut pas d'une autre. Les quelques lignes aperçues et tout ce qu'il ressent depuis le lui confirment: il va le jeter. Il est sûr de lui, bienheureux de l'avoir récupéré. p. 126