J'irai revivre sous d'autres étoiles

Et puis un jour, sans crier gare, la vérité s'abat sur nous, et il n'y a rien que nous puissions faire pour en changer la réalité...

Quand je pense qu’il était parti de sa propre volonté ! Comment peut-on faire une chose pareille, disparaître en abandonnant femme et enfants ? Ce n’est pas humain, ce qu’il a fait. C’est tout ce qu’il avait comme considération pour sa famille ? Ça me dépasse. Je n’arrive pas à comprendre. Vraiment pas.

C’est très bien d’écrire, je trouve. Si tu savais le nombre de pages que j’ai noircies après la disparition de mon mari. C’est une psychothérapeute qui me l’avait conseillé, ainsi que de brûler le tout. Il paraît que ce geste est très symbolique et qu’il aide à nous débarrasser de ce qui nous pèse.

Elle aimerait être ailleurs à cet instant, ne pas avoir à vivre ce moment, ne pas devoir se justifier, ne pas fuir le regard de cet homme froid et désagréable qui l’intimide, qui lui donne envie de se recroqueviller jusqu’à devenir une petite chose insignifiante ou invisible

C’est flou encore, comme un mirage, et ceux qui l’ont aperçu ne savent pas si c’est leur imagination qui leur joue des tours ou bien la réalité. Pour ne pas paraître idiots, ils se taisent.

J’ai l’impression d’être une cocotte-minute, que je vais exploser à tout moment. Je lui en veux tellement, à mon mari. Je me demande si le pire n’est pas de ne pas avoir eu le choix. Tu comprends, c’est lui qui a tout décidé. Et moi, je subis. Et je ne suis pas d’accord avec ça, avec ce qu’il a fait de nous, de notre couple, avec ce qu’il fait de ma vie.

Le temps est en suspens, le soleil n’ose toujours pas apparaître. Patrick sent que c’est important, ce moment privilégié où deux êtres se livrent des parties d’eux. Mathilde ne relève pas. Elle comprend la femme qui veut donner la vie. Elle, elle n’aurait pas pu vivre sans enfants, même s’ils sont arrivés un peu trop rapidement, sans qu’elle le décide, sauf pour le dernier. Elle comprend aussi que certaines personnes n’en ressentent pas le besoin.

Patrick n’aime pas trop parler de lui. Ce n’est pas vraiment dans sa nature. Il n’est pas habitué à s’épancher sur ses émois, mais Mathilde appelle la confidence sans pour autant le formuler ouvertement. Ça doit être un don, ça, faire parler les autres alors qu’on ne leur pose pas de questions.

Il voulait sauver la planète, aider les plus démunis, défendre la cause des malchanceux. À cette époque, le monde appartenait à ces jeunes insouciants qui ne savaient pas que les rêves ont besoin d’être nourris, ajustés, travaillés pour devenir réalité. Ils vivaient de rires, de concerts, de rassemblements.

Elle se dit qu’elle préfère la douleur physique à la douleur morale, ça dure moins longtemps. L’ascension de la dune est chaotique. Elle a l’impression d’avoir pris cent ans en une nuit. Au sommet, elle se laisse choir sur le sable qui s’échappe en petites coulées autour d’elle. C’est agréable, frais. Elle joue avec les petits grains dorés qui lui filent entre les doigts. Impermanence de la vie, pense-t-elle tout à coup. La vie est comme ça. Elle coule entre nos doigts sans que nous puissions la retenir. Le ciel est gris, comme son moral. Quelques nuages se suivent, certains plus denses que d’autres. Il est possible que le temps soit couvert aujourd’hui. Elle reste là, allongée, sans bouger, regarde défiler ses souvenirs.