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Critique de berni_29


C'est par erreur que j'ai emprunté ce livre à la bibliothèque municipale de ma commune. Dans les branches est un roman d'Emmanuelle Maisonneuve. Je dois l'avouer humblement, j'ai été attiré tout d'abord par la page de garde et la quatrième de couverture. Il faut dire que le dessin y figurant est un enchantement invitant au voyage. Puis, me rendant compte quelques jours plus tard qu'il s'agissait d'un livre pour ado, sottement je m'apprêtais à le rendre, presque content de venir soulager la pile brinquebalante des livres non encore lus sur ma table de chevet, lorsque, je ne sais pas pourquoi, je me suis dit : tiens, tout compte fait, si je le lisais. Et me voilà pris, emporté dans l'histoire d'un adolescent, le genre d'ado qu'on critique si aisément du bout de notre lorgnette, nous les-adultes-si-pleins-de-certitudes... Mo – il faut dire Mo et non Morgan, il ne supporte pas qu'on l'appelle Morgan – donc Mo est ce qu'on appelle un geek, un geek solitaire, pléonasme me direz-vous... Tous ses temps libres se passent devant l'écran de son ordinateur, durant des heures et des heures, à tel point que la vie, la vraie vie lui échappe. Il n'en n'a que faire. Mo est mal dans sa peau, mal dans le monde qui l'entoure. Son univers à lui c'est celui de Hagaard le zombie, personnage qu'il incarne dans un jeu de rôle vidéo, Endof World.
Mo vit chez sa mère, M'man. Régulièrement son oncle, l'oncle Gé, vient lui rendre visite, ils sont très proches l'un de l'autre. Le père n'est plus là. M'man traverse très souvent des longues phases de déprime et souffre d'un mal de dos récurrent, conséquence d'un accident de voiture. Elle a vécu avec un certain Allan il y a quelques années, puis elle l'a quitté. Cependant au début du roman, au grand désespoir de Mo, M'aman renoue avec Allan le faux père, homme qu'il juge détestable.
Lorsque Mo se retrouve, avec d'autres jeunes de sa classe, confronté à une course d'orientation en pleine forêt du Massif Central, vous imaginez à quel point l'exercice est tout d'abord une souffrance pour celui-ci. Dans cette course d'orientation, à la suite d'un mot de travers prononcé par une élève à l'encontre de l'adolescent, celui-ci s'enfuit et inévitablement il finit par se perdre quand, tout d'un coup, son destin va totalement basculer par une rencontre inouïe... Il vient d'apercevoir quelque chose dans les arbres, quelque chose d'effrayant, un troll forcément et Hagaard le zombie, enfin je veux dire Mo, s'y connaît… donc il prend ses jambes à son coup. À bout de souffle, il frappe à la porte d'une ferme à flanc de montagne…
Sans vous dévoiler la suite ainsi que le dénouement qui est merveilleux, je vais quand même vous en dire un peu plus... Et tel un Petit Poucet espiègle, je vais vous égrener sur le chemin de la forêt quelques indices qui vont titiller votre curiosité...
Écartez les branches et suivez-moi... Le roman démarre par ce très beau poème de Paul Éluard, Liberté. « Sur les ailes des oiseaux j'écris ton nom, liberté... ». Ce vers reviendra par moment comme un leitmotiv. On comprendra pourquoi à la fin du roman. Bien sûr, Mo est mordu de vidéo, addict des jeux de rôle, empâté devant son ordinateur à force de rester assis, c'est le genre de gamin qui nous agace, sauf lorsqu'il s'agit de nos propres enfants ! Bon, enfin pas toujours... Et pourtant, cet enfant, cet ado, va se révéler comme un magnifique personnage peint dans sa candeur, sa révolte, son désir de transgression... et sa métamorphose aussi... C'est un conte de fée forcément, qui tutoie la forêt et tout ce qu'elle a de magique. le fantastique est à fleur de peau. le réel aussi. Plus que jamais. Nous avons tous franchi un jour ou l'autre un hall de gendarmerie, vu ces affiches d'enfants disparus, ces regards tendres qui nous ont pincé le coeur.
Au début, le roman ressemble à une partie de cache-cache. La forêt est conçue pour cela. La fugue, la fuite, puis la traque aussi...
Au fil du rasoir, nous oscillons entre réel et fantastique. Se fondre dans la forêt, devenir invisible, se camoufler, l'enfant qui se transforme en bloc de rocher pour devenir invisible, se fondre dans le paysage, s'évader...
Ce roman nous parle de liberté, celle du poème d'Éluard, des papillons attirés par la lumière et qui finissent par se brûler les ailes...
Les personnages sont attachants. Nous rencontrons ainsi Gaby, le grand type, qui a racheté une vieille ferme à flanc de coteau après le décès du Vieux Louis. Il veut créer une fromagerie. Jusqu'à sa mort, le Vieux Louis avait noté plein de détails du quotidien sur ses carnets, jusqu'à sa mort, narrant cette rencontre insolite... Les gendarmes, même les gendarmes, qui sont par nature si ballots... pardon je m'égare... Donc, le colonel de gendarmerie qui est chargé de l'enquête exprime une grande empathie à l'égard de Mo, voudrait l'aider, voudrait que Mo à son tour coopère. Et Mo, tiraillé, déchiré, ne sait pas ce qu'il faut faire : coopérer au risque de trahir ou bien continuer de transgresser au risque de... ? Mais chut... Les pages de cette histoire se déroulent avec une odeur de noisettes sauvages et d'humus pleins les doigts. Nos chaussures sont couvertes de glaise, tandis que nos yeux se perdent dans les étoiles.
La forêt est merveilleuse : la grotte aux mille micas palmés, la cascade souterraine, le lac en rond, se nourrir d'airelles et de feuilles de sauge... Les forêts protègent les enfants blessés, construisent des grottes pour les abriter. Ici comme des jeux de miroirs, le décor peut parfois changer, déplacer les arbres et les chemins comme par magie lorsque vient le danger, du moins c'est l'impression que cela donne.
Parfois, des hommes en quad traversent stupidement la forêt en effrayant les geais, sans rien voir, sans rien soupçonner de ce jeu de miroirs. Ce passage du roman est particulièrement savoureux.
C'est aussi le roman de l'apprentissage. Il y a des gestes magnifiques qui disent comment apprendre à survivre, vivre au jour le jour. Mais l'apprentissage est aussi dans les regards, les non-dits... C'est un roman qui dit la confiance, la peur de la trahison, qui dit l'apprivoisement. « Chaque jour tu pourras t'asseoir un peu plus près... » nous disait le renard dans l'histoire du Petit Prince. Mo chaque jour s'assoit un peu plus près, au risque de brûler ses ailes à son tour.
Et puis les rêves s'écroulent. Forcément un jour il faut bien redescendre des arbres... Car les hommes « mangent la forêt, mange la montagne ». Cela s'appelle des tirs de mine dans une carrière.
C'est donc aussi le roman de la désillusion. Mo quitte un monde virtuel, celui des jeux vidéo, et paradoxalement c'est un autre monde au bord du fantastique, qui va lui faire prendre conscience de la vacuité du monde des adultes. C'est un regard lucide et cruel sur notre société, où tout est expliqué. « Vous les adultes, vous savez toujours ce qui est bon pour nous ! ». L'auteure n'invente rien dans ce conflit des générations, dans ce regard décalé, dans l'adolescence incomprise. Tout a été dit au cours de milliers de romans. Ici le sujet est simplement effleuré pour raconter une histoire qui sort de l'ordinaire, mais qui tutoie le fait divers au bord de l'imaginaire. L'auteure jette un sort au réel, à nos vies normales, et cela prend... Mais au fond, c'est quoi au juste une vie normale... ? Jusqu'où peut-on demeurer libre ? Jusqu'à quelle limite pouvons-nous permettre le consentement à l'autre qui enfreint non pas la loi mais simplement le cadre posé justement par cette vie normale.
C'est un roman qui nous happe par son rythme, son suspense, il touche, il nous émeut. C'est une ode à la nature. C'est une histoire qui pose des choix. C'est un roman d'apprentissage. Il ne donne pas de leçons. C'est une belle histoire pour les adolescents, et peut-être par erreur ou par vagabondage, il peut tomber aussi entre les mains de leurs parents. De cette rencontre merveilleuse et improbable nous pouvons en tirer une autre satisfaction : savoir que ce récit peut apporter aux jeunes lecteurs une joie pure et jubilatoire. Et les aider à écarter les ramures pour cheminer vers de nouvelles lectures...
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