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Critique de maevedefrance



Le livre porte en sous-titre "Journal d'un effondrement". le monde entier connaît aujourd'hui ce qu'il s'est passé le 4 août 2020 à 18h07. Mais quel gouvernement s'est un instant préoccupé de la situation du peuple libanais ces dernières années ? Aucun. Ici, en France, par-ci, par-là, quelques articles de presse mentionnant la dévaluation de la livre libanaise et l'effondrement économique progressif du pays. Mais certainement pas à la Une des médias comme ce fut le cas quelques semaines. Ensuite, même le président Macron est allé réprimander le gouvernement libanais, avec tout ce que cela a de ridicule, vu de France, de mon point du vue.



Le livre de Charif Majdalani tombe à point nommé pour qui veut en savoir davantage ce qui s'est passé au Liban ces trente dernières années. Ou du moins avoir quelques informations sur la situation du pays avant l'explosion sur le port de Beyrouth. L'auteur lui-même ne pouvait imaginer la tournure qu'allait prendre son récit. Pourquoi en est-on arrivé à un tel désastre ?



Charif Majdalani a entrepris son journal pendant l'été 2020, le 1er juillet. Pour témoigner du quotidien, dans un Liban ruiné par la crise économique et en pleine crise sanitaire due à la pandémie du Covid-19.



A première vue, la vie est normale : "Les embouteillages ne sont pas pire que naguère, bien que les feux de signalisation soient éteints avec la pénurie de courant électrique." Ah bon, une pénurie électrique ? Oui ! Une pénurie électrique qui entrave beaucoup la vie quotidienne des habitants. Mais, rien n'est impossible dans un pays au gouvernement corrompu ! Il faut masquer les failles. Alors on peut obtenir son permis de conduire sans avoir le Code ! "(...) Ma fille a obtenu son permis de conduire dans les conditions les plus absurdes, l'absence d'électricité dans le centre d'examen l'ayant empêchée de passer le test du Code de la route." La ville n'est que partiellement illuminée la nuit tombée. du moins ETAIT. "Il n'y a plus d'électricité depuis quelques jours. Quand on tend l'oreille, on s'aperçoit que le ronron des générateurs peuple la nuit jusque dans ses tréfonds. On s'y est accoutumés, il est devenu comme une part de la texture même de l'obscurité. Certains générateurs s'arrêtent à minuit, d'autres pas. Quoi qu'il en soit, à partir de minuit, les routes deviennent des gouffres insondables (...) L'effondrement du secteur de l'électricité est le plus emblématique de la faillite générale de l'Etat. Durant trente ans, aucun des gouvernements successifs n'est parvenu ou n'a voulu parvenir à moderniser les réseaux et reformer l'ensemble de cette administration." Charif Majdalani explique qu'il s'agit d'un problème d'entente entre les différents chefs des partis au pouvoir. "Selon les chiffres qui circulent, quarante milliards de dollars se seraient ainsi volatilisés entre chantiers de centrales qui se sont avérées inopérantes, importation opaque d'électricité de Syrie, location à des prix incontrôlables de centrales ambulantes turques. Quarantaine milliards de dollars qui auraient suffit à éclairer la moitié de l'Afrique, et qui n'ont pas permis, en trente ans, d'offrir autre chose que quelques malheureuses heures de courant quotidien à un aussi petit pays que le Liban. Entre-temps, il a bien fallu s'organiser. S'est ainsi développée une offre privée, celle des générateurs de quartier alimentant les maisons et les entreprises. Comble de l'absurde : l'un des divers gouvernements qui se sont succédé a décidé, au début 2019, de contrôler ces entreprises privées. Autrement dit l'Etat s'est mis à réglementer et à taxer un service illégal instauré pour pallier ses propres carrences."

Les banques ? C'est devenue une chose impossible. On l'a bien compris avec quelques autres blogueuses en voulant aider une famille à restaurer ce qu'il restait de son appartement qu'il y avait un problème avec les banques libanaises. On va dire que l'essentiel est que l'argent est arrivé mais sans passer par elles. Tout virement sur un compte libanais est refusé. Même si vous êtes en France.L'auteur décrit sa perte de temps à tenter x combines : "Je passe ma journée à courir d'une banque à l'autre, à convertir des dollars en livres selon le taux officiel, puis à compare ce dernier à celui des banques, puis, à celui des changeurs, puis à celui du marché noir, à faire des calculs, à planifier des dépenses moitié en chèque, moitié en liquide, avant de m'embrouiller et d'envoyer tout paître."



La pauvreté croît à vue d'oeil, même chez ceux qui vivaient bien, les licenciements vont bon train, les suicides aussi... La souffrance psychique due à la situation du pays obligent certains à prendre des psychotropes, à cela s'ajoute la crise sanitaire qui en rajoute une couche.


La pauvreté des Libanais, mais aussi de ceux qui viennent des pays voisins. Notamment de Syrie. du moins c'est ce que disent ce que disent ces êtres humains qui mendient dans les rues de Beyrouth. Certains disent venir d'Alep. Mais rien n'est sûr. Des Nawars ? "ce peuple mystérieux dont certains considèrent les membres comme des cousins asiatiques des Roms. (...). il est certain que, depuis quelques années, ils ont été supplantés dans les rues par l'immense déploiement d'une population de nouveaux mendiants." Des enfants, des femmes, des vieillards syriens font partie du paysage urbain de la mendicité, chassés de leur pays par la guerre civile. "Mais nombre d'entre eux sont nés ici, dans des chantiers abandonnés, des squats ou dans la rue, et sont donc totalement apatrides, abandonnés à eux-mêmes (...) La natalité dans ce milieu est apparemment vertigineuse. L'Etat libanais ne s'en est pourtant jamais préoccupé, laissant croître la misère, la violence domestique, l'ignorance et sans doute la drogue et la prostitution."



Charif Majdalani évoque également les problèmes d'écologie. La destruction des paysages, des forêts des montagnes par les guerres. Mais pas que. Par ce qu'ont fait les gouvernements successifs, les magouilles de grande ampleur, l'afflux d'argent sale provenant de la vente d'armes, et de drogues régenté par des milices... Depuis trente ans, "le pays tout entier est devenu la chasse gardée de la caste des oligarques au pouvoir, qui a établi avec les citoyens une relation de nature mafieuse". Les anciens chefs de guerre ou leurs descendants se partagent le pouvoir, notamment "le plus dangereux de tous, le Hezbollah, encore armé sous prétexte de résistance contre l'occupation israélienne dans les provinces du Sud alors qu'il n'y a plus d'Israéliens depuis quinze ans".


On pense à peu près avoir touché le fond. Et pourtant, le pire du pire est arrivé. L'auteur ne pouvait pas le savoir lui non plus. Si je vous dis que les dernières pages du livre sont pleines d'émotion, c'est comme enfoncer une porte ouverte.



On sort de cette lecture révolté et ému. Mais aussi en ayant appris quelque chose ! Un livre qui contient un récit fort, qui n'est pas une fiction, bien malheureusement, mais la réalité insupportable bien loin de la petite Suisse du Romantisme.



Je n'avais jamais lu d'écrits de cet auteur, par ailleurs enseignant à l'université Saint-Joseph de Beyrouth. J'ai encore appris beaucoup de choses sur la situation complexe de ce pays.



Lien : http://milleetunelecturesdem..
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