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Critique de JeffreyLeePierre


Curieux Curzio. Drôle de gus.
Italien, il appartient à une génération européenne qui n'a pas eu de bol puisqu'elle a dû vivre les deux guerres mondiales. Lui en a tiré des livres. Son parcours est plutôt trouble : vaguement artiste, journaliste, diplomate et finalement romancier. Fasciste de la première heure, plus tard emprisonné par le régime pour ses écrits, puis libéré et envoyé comme correspondant de guerre auprès des armées alliées de l'Italie. Enfin refaisant surface en suivant les armées libératrice à partir du débarquement américain en Sicile.

Kaputt est son grand oeuvre sur la seconde guerre mondiale, écrit à la première personne. En tant que correspondant de guerre, il se déplace entre pays conquis par les Allemands et pays neutres. Allié des Allemands, il est transporté par la barbarie nazie dans ses bagages mais se voit telle la vipère dénonciatrice en son sein. Faisant preuve d'un courage plutôt impressionnant.
Quelle est la part inventée, où est la réalité ? Et de cette réalité, la part réellement vécue, la part rapportée ? Ce n'est finalement pas très important, cela fait bien longtemps qu'on sait qu'en littérature, le réalisme est plus fort que le réel. Et s'il ne peut s'empêcher d'en rajouter, de faire le mariole pour établir sa gloriole, c'est juste un trait qui n'est pas le moins intéressant du personnage.

La structure du livre en plusieurs partie est fantastique. Chaque partie a un thème, placé sous le signe d'un animal réel ou allégorique, et se déroule sous forme de conversations mondaines qui appellent des souvenirs de ses pérégrinations de correspondant de guerre, généralement atroces.
Parce qu'il est celui qui ramène à ses interlocuteurs protégés de l'arrière la dure expérience de la mort vécue depuis les abords des fronts. Avec toujours la volonté de les choquer (surtout les femmes) ou de leur mettre leurs méfaits sous les yeux (surtout aux dignitaires nazis).

Ainsi, chaque partie a son contexte : un dialogue avec le frère du roi de Suède, la petite cour nazie du gouverneur général de Pologne, les cercles diplomatiques en Finlande, des amies allemandes retrouvées à Postdam, l'État-major allemand en Finlande, la valetaille fasciste au club house du golf de Rome.
Les conversations ont lieu dans un monde encore préservé, vestige de la grandeur culturelle Viennoise qu'il fréquenta (ou pas ?), vestige de la bande de révolutionnaires fascistes de la première heure dont il fut, vestige de la vie parisienne des années folles où il alla puiser la modernité artistique… Encore préservé mais déjà détérioré, perverti d'avoir embrassé les dictatures, et en voie de disparition de plus en plus consciente.
Les horreurs décrites le plus en détail sont finalement davantage celles proférées par les dignitaires nazis que celles perpétrées par les brutes qui leurs servent de sbires. le mal vient du haut. Certes, il y a des descriptions de pogroms, de massacres, d'exterminations. Malaparte a vu la solution finale « artisanale » d'Europe Centrale et de l'Est, et elle n'était pas belle à voir. Mais les échanges dans le petit monde nazi sont proprement effarants, d'autant qu'ils sont retranscrits (ou exagérés ?) avec complaisance.

Pour accentuer le réalisme, le style et l'ambiance varient entre les diverses conversations (aimables promenades dans la société cosmopolite des gens bien nés, climat bien plus tendu chez le petit caïd de Pologne), ainsi qu'entre les conversations et les souvenirs, ces derniers étant écrits dans un style plus journalistique.
S'ajoutent à cela de nombreuses répétitions. Comme le symptôme de quoi ? D'une tentative de poésie en prose parmi un chapelet d'horreurs ? D'un récit de conteur oral, avec ses trucs pour mieux immerger ses auditeurs ? En tous cas, de faire oeuvre de littérature, au-delà de ses articles qui sont parus à l'époque (et encore disponibles après avoir été compilés) alors que le roman est resté clandestin jusqu'à la libération.
Il y a enfin une attention aux détails, aux couleurs, aux ambiances de la nature environnante. Notamment cet Italien a visiblement été fasciné par la lumière des pays nordiques. Oscillant entre admiration (y compris une fixation bizarre sur les couleurs rose et vert pâles) et malaise : à quoi sert un soleil de minuit s'il n'y a aucun moment de la journée où il est vraiment radieux comme dans la Péninsule ?

Le tout en fait un grand livre, peut-être le plus admirable de tous ceux que j'ai lus sur ce conflit.
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