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Critique de Kirzy


Dans ce récit fulgurant salué tout récemment par le Prix Goncourt du Premier roman, Emilienne Malfatto réussit un tour de force très impressionnant. Elle, l'étrangère à la société qu'elle restitue, l'Irak du Sud rural où sévissent encore des combats, parvient à raconter sans distanciation mais avec une empathie totale la complexité d'un pays à travers l'intimité d'une famille, comme si elle était irakienne. Suite à ses aller-retours dans le pays en tant que photojournaliste, elle a acquis une connaissance fine des lieux et des hommes. Tout respire l'authentique.

Elle plonge le lecteur en pleine tragédie grecque avec cette chronique d'une mort annoncée. Une jeune fille sera tuée par son frère, elle le sait depuis qu'elle est tombée enceinte hors-mariage et que son amoureux clandestin est mort aux combats avant de pouvoir l'épouser. Elle se raconte, rejointe par le choeur des membres de sa famille, tous impuissants face au fatum en marche, inexorablement.

Cette polyphonie permet à l'auteure d'éviter l'écueil du manichéisme. Il n'y pas de salauds ou de fous islamistes. Juste des êtres prisonniers d'un système qu'ils ne savent pas mettre à terre. Les débats intérieurs, les dilemmes insolubles de chacun, sont mis à jour. Terrible de voir la mère approuver en pleurs, en silence, le meurtre de sa fille. Bouleversant de lire le petit frère dire «  je suis le garçon dont l'avenir n'est pas encore écrit. Je suis celui qui, peut-être, ne sera pas l'assassin », trop jeune pour s'opposer mais avec une lumière possible d'être celui qui brisera la fatalité. Dramatique d'être face au frère ainé, dépositaire de l'autorité depuis la mort du père, se sentir obligé de laver l'honneur de la famille par un crime qui le désole.

A ce choeur, s'ajoute un formidable choryphée, le Tigre lui-même, le fleuve qui traverse l'Irak et la mémoire du pays. Il offre des respirations poétiques, de superbes envolées lyriques évoquant aussi bien la réalité crue que faisant référence à l'épopée de Gilgamesh ( le magnifique titre est tiré de ses vers ). L'écriture d'Emilienne Malfatto, épurée, ciselée, à la fois simple et forte, y ets parfaitement mise en lumière.

Ce roman est d'une sobriété bouleversante, offrant au lecteur toute sa place pour ressentir, vibrer selon son propre rythme, sans se voir imposer des émotions. C'est très rare de trouver autant de matières dans un texte si court ( 79 pages ). Je salue le remarquable travail de la maison d'édition Elyzad qui propose régulièrement des textes contemporains vivants, ouverts sur l'Orient, dans un écrin visuellement toujours très beaux, comme en témoigne cette couverture juste à l'unisson de la puissance du roman : une photographie prise par l'auteure elle-même, qui marque avant même que le livre soit ouvert.
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