AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de hashtagceline


Ce roman m'a bousculée. Il m'a heurtée notamment parce qu'il touche à un sujet très sensible et dérangeant : le cannibalisme, comme le titre le laisse présager.

Et Aylin Manço, tant qu'à faire, exploite ce thème au coeur d'une relation mère-fille. Et cela en devient encore plus troublant. Mais Ogresse ne se résume pas qu'à cela. C'est bien plus profond.

On accompagne aussi Hippolyte, l'héroïne qui se débat avec ses tourments adolescents et qui va devoir faire face à quelque chose d'inconcevable. En tant que lecteurs, spectateurs passifs, on a parfois du mal à savoir comment réagir à ce qui se déroule sous nos yeux. Certaines scènes sont douloureuses, insoutenables.

Aylin Manço traite avec justesse les rapports (amicaux, de force, de séduction) et les moqueries entre adolescents. Et elle le fait avec beaucoup d'humour. Il y en a, heureusement. C'est ce qui permet de souffler parmi tout le reste.

J'ai aimé tous les aspects de cette histoire : l'histoire d'amitié avec Kouz et Benji, la relation qu'elle va nouer avec Lola, l'enquête sur la disparition de Madame Munoz, sa voisine mais aussi le rapport compliqué qu'elle entretient avec ses deux parents. Et puis, il y a ce malaise latent dans sa propre maison. Ces repas qu'Hippolyte fait seul sous les yeux de sa mère. Cette viande qu'elle doit mâcher, avaler en se forçant.

"J'en ai coupé un bout, et l'ai mastiqué jusqu'à ce qu'il perde tout son goût. C'était un morceau tout petit. J'ai estimé qu'à ce rythme-là, il me faudrait trente bouchées avant de venir à bout de la viande. Ça me semblait aussi absurde de me forcer à la manger que de pousser de la nourriture dans le gosier d'une poupée de plastique. C'était pas tant que j'avais plus faim, c'était que j'avais oublié ce que ça faisait d'avoir faim."

Et puis ce comportement étrange de cette femme avec qui elle vit et qu'elle ne reconnaît plus. Au départ, on trouve ça un peu étrange, comme Hippolyte. Et puis ça dérape. Sérieusement.

"Alors le noir crache quelque chose de furieux qui me tombe dessus. le salon se renverse ; le sol me heurte dans le dos. J'ouvre la bouche pour hurler mais le choc m'a coupé le souffle.
Elle a les ongles enfoncés dans mes épaules et je sens son haleine sur mon cou. D'instinct, je la repousse d'une bourrade, elle tombe et je me roule en boule.
Est-ce qu'il faut crier, là ?"

Que fait sa mère enfermée dans la cave? Que cache-t-elle? Les questions sont nombreuses. Les réponses, finalement, on les a mais on ne veut pas vraiment y croire. C'est trop...

Alors on angoisse. Et cela ne fait qu'empirer. Car l'amour (quel qu'il soit) rend souvent aveugle et mène à tous les excès et toutes les prises de risque.

Aylin Manço réussit à tout traiter en profondeur sans que l'histoire ne perde son sens ou que nous, lecteurs, nous nous y perdions. On comprend tout ce qui agite la jeune fille. On comprend à quel point la séparation de ses parents a été douloureuse, comment fonctionne ( plutôt mal au début ) son groupe d'amis, comment elle cache ses sentiments envers l'un d'eux. le groupe va évoluer, grandir et accueillir un nouveau membre. Ensemble ils vont faire des expériences plus ou moins légères. Certaines, comme lors du week-end sans les parents de Benji seront drôles...

"Benji me faisait marrer, mais j'étais pas tellement mieux que lui. J'avais l'impression d'avoir basculé dans un tableau impressionniste, et de voir partout autour de moi les minuscules coups de pinceau mouvants qui constituaient la matière. En fait, j'étais moi-même faite de coups de pinceaux. L'artiste me peignait en ce moment même !!"

...d'autres beaucoup moins.

Aylin Manço, comme dans La dernière vague, intègre un élément totalement fantastique inexpliqué qui sert de fil conducteur à son histoire. Elle s'en sert habilement pour construire son récit et exacerber les peurs et sentiments de ses personnages.

Tout ce qui tourne autour de la nourriture aussi est un aspect important du roman. Avec sa mère mais aussi avec ses amis. Il y a de nombreux passages autour des inventions gustatives de Benji comme le "MacMorning ultimate" ou la version améliorée du hot-dog de chez Ikea rebaptisé "meilleur hot-dog du monde".

La nourriture qui fait vivre, qui est un besoin primaire devient ici inquiétante et parfois écoeurante. Cela contribue à rendre l'ambiance du roman encore plus pesante. le texte nous pèse sur le coeur et sur l'estomac...

"Tu peux essayer de nourrir une marionnette, tu peux enfoncer la nourriture dans sa bouche et l'écrabouiller entre les parois de plastique, elle peut même mastiquer si tu lui fais ouvrir et fermer la bouche, mais tu ne peux pas la faire avaler, tu ne peux pas la faire digérer, excréter. La nourriture ne lui sert à rien."

Tout ce qui touche au corps et ses matières est aussi hyper présent. C'est saisissant.

Bref, ce roman porte bien son titre. Ogresse va vous manger tout cru et vous recracher, pantelants, choqués et je l'espère, comme moi, totalement convaincus et soufflés par la puissance de son histoire.

Histoire qui, une fois terminée, quoi que vous en ayez pensé, vous laissera une trace, là, un peu comme celle d'une morsure.

Un GROS GROS COUP DE COEUR pour ce roman définitivement à contre-courant mais génialissime.
Lien : https://www.hashtagceline.co..
Commenter  J’apprécie          80



Ont apprécié cette critique (5)voir plus




{* *}