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Critique de CorinneCo


Kurt Wallander s'éloigne dans les derniers jours de l'été scanien. C'est son avant-dernière enquête et déjà Henning Mankell l'efface doucement de son horizon d'écriture. Dès lors, il manque Wallander ; son obstination, son impatience, son univers bordélique, son idéalisme bancal. Sa fille Linda, fraîchement sortie de l'école de police, mutée à sa demande dans le commissariat de son père, à Ystad, attend de commencer son travail. Ce n'est pas la relève, il n'y a pas de relève « Wallander « chez Mankell. Linda Wallander est le personnage central de ce livre. C'est elle que l'on suit. L'enquête menée par son père est en toile de fond, lui-même n'apparait que de temps en temps. Pourtant Linda Wallander est au coeur de cette enquête et du drame qui se joue. Nous regardons donc Wallander à travers les yeux de sa fille ; un regard critique, étonné, accusateur, irrité souvent, admiratif et somme toute aimant, même si elle s'en défend. Deux individualités bien distinctes et fortes qui parfois volent en éclats. Ce livre s'ouvre sur l'épisode tragique du suicide collectif en Guyana du mouvement « le Temple du Peuple » en 1978. le reste du récit se déroule à la fin du mois d'août et au début du mois de septembre 2001. Avant les premières gelées de l'automne scanien. Un livre sombre, interrogateur sur la foi, la mort, l'appartenance à une famille, une société, l'idéal, la violence. La psychologie des personnages est toujours au premier plan, la solidité narrative aussi. Pour moi avec « Les morts de la Saint-Jean » le meilleur de la série. Peut-être parce que cette histoire a fait écho à un épisode personnel déjà ancien, lorsque ma route croisa pendant quelques mois Ursula, adepte de la secte Moon ou plutôt de l'Eglise de l'Unification puisque tel est son nom. Ursula essaya de me « recruter », je ne vois pas d'autre mot. Bien sûr, si quelqu'un lui avait fait remarquer que c'était sa « mission », sa « fonction » au sein du mouvement, elle l'aurait réfuté. J'ai retrouvé dans le livre de Mankell des similitudes de comportement entre Ursula et le personnage principal du livre (survivant de Guyana). Je ne peux que l'écrire :
Il y a de cela plusieurs années, je dirais même que c'était au siècle dernier. J'étais assise sur un banc Place de l'Odéon à Paris, perdue dans mes pensées je ne faisais pas vraiment attention au petit groupe de jeunes garçons et filles qui accostaient certains passants. Une jeune femme vint s'asseoir à côté de moi et commença à me parler. Rétrospectivement, je me suis dit que j' avaisl'air assez désoeuvré pour qu'elle pense que je puisse faire partie d'un nouveau contingent d'adeptes. Pauvre Ursula, j'étais dans mon état naturel, pensant à mille choses et peut-être à des lieux de la Place Odéon. Ursula qui se présenta comme une néerlandaise d'origine allemande, vivant en banlieue avec son mari français et faisant de l'humanitaire. Nous parlons, très gentiment, très agréablement. Ursula me propose de venir chez elle, j'accepte. Nous nous retrouvons donc dans un petit appartement de la banlieue sud est, agréable, chaleureux, moderne et voici Ursula préparant un déjeuner en toute simplicité. Comme toujours chez quelqu'un (même si c'est une mauvaise habitude) je regarde les livres dans la bibliothèque et je vois non pas un, mais plusieurs livres « moonesques ». Aucun autre livre, ni magazine d'ailleurs. Déjà le tableau est posé. Nous continuons à parler comme deux copines. Je lui dis pendant le repas que j'ai vu les livres écrits par Moon et je lui demande (même si je m'en doute) si elle fait partie du mouvement. Ursula confirme et oriente le sujet sur la religion au sens large pour voir mes réactions. J'ai des amis croyants pratiquants des trois grandes religions monothéistes et me suis trouvée plus d'une fois à débattre de leur foi, de la spiritualité, de leur religion. Etant agnostique tendance athée « ça dépend de mon degré de scepticisme du jour», je m'interroge et je les interroge. Donc, une conversation (un interrogatoire ?) sur les religions, allons-y. Bien sûr, Ursula, commença un travail de bourrage de crâne, je ne vois pas d'autre terme, à mon encontre. Aucune prise avec moi, mon cerveau est d'une indépendance forcenée et obtuse. Ursula changeait de ton pour ne pas dire de personnalité quand j'argumentais sur Moon, sur sa vision du monde, sur son « message », sur sa paranoïa affichée, etc.… le ton devenait soudain agressif, beaucoup moins sympathique. Etant partisane du dialogue et pouvant parler et débattre (même avec des idées que j'exècre) d'un ton calme et posé, justement pour toujours pouvoir comprendre le « pourquoi », cette violence verbale et cette agressivité me montraient les limites de notre relation. Quand je lui demandais de m'expliquer pourquoi elle et son mari se retrouvaient dans ce mouvement, elle récitait une succession de phrases sans réflexion, sans substance. Quand je lui demandais ce qu'elle pensait de tout ça, ne serait-ce que le fait de n'avoir pas pu choisir le prénom de sa petite fille. Elle ne pensait rien. Elle récitait. Effrayant et consternant. Ursula était charmante, sûrement intelligente, drôle, son mari était tout aussi avenant. Leur enfant était une mignonne petite fille, je me faisais surtout du souci pour elle. J'ai continué à lui rendre visite pendant trois, quatre mois, de façon régulière ; je ne la jugeais pas, je voulais comprendre. Peut-être pensait-elle arriver à ses fins avec moi, même si je refusais toutes les soirées, les sorties « entre adeptes ». Ursula aurait pût devenir une bonne amie. Malgré sa tentative de manipulation évidente vis-à-vis de moi, je l'aimais bien. Son endoctrinement était tristement total. J'ai pensé (après), que ce couple somme toute banal, un peu poussés par leur « gourou » auraient pu verser dans un extrême plus radical. En même temps je comprenais la logique d'approche d'Ursula, quand elle m'avait vue sur mon banc, seule. Je devais avoir l'allure d'une « proie » facile. Cette extrême gentillesse, douceur, calme, compassion, compréhension qu'elle déployait se lézardait au contact de l'interrogation d'autrui sur elle et ses semblables. En me souvenant des questions qu'elle m'a posées lors de notre première rencontre, je me suis aperçue qu'elles étaient orientées pour trouver ma faille, ma faiblesse, ma propre dépendance, le point qu'il fallait creuser pour m'amadouer. le vivre en direct est très instructif à condition de se voir en spectateur. Il pose des limites sur la compréhension vis-à-vis d'autrui et met en évidence sa propre impuissance. Cette rencontre a renforcé ma recherche sans fin (et sans réponse) sur la nature humaine. Henning Mankell a écrit un livre sur le désespoir et l'espoir, Linda et Kurt Wallander vivent cette histoire pleinement. Ma rencontre avec Ursula avait un goût de désespérance, j'ose y mettre une goutte d'espoir…
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