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Critique de ileana


ileana
14 septembre 2014

Autobiographie de Klaus Mann, 1906 – 1949.
J’ai été fascinée par la lucidité de Klaus Mann, sa capacité à anticiper les évènements. Exilé de la première heure, prophète du malheur, il a dû patienter des longues années avant que ses mises en garde et celles de nombreux autres témoins du Troisième Reich trouvent audience. En avance sur son époque, il a vécu le désespoir de ne pas être compris.
Son destin me fait penser à Stefan Zweig. Cependant, pour Zweig la menace venait de l’extérieur, alors que pour Klaus Mann elle était issue de son propre pays.
Un autre aspect frappant - une sensibilité particulière pour les destins ou les figures tragiques : par exemple le portrait son ami Ricki p363 ou celui de Julien Green p 309.
Dans la préface il est question de la difficulté de Klaus Mann de se faire un nom en tant qu’écrivain dans le sillage de son génie de père. Mais il reste discret sur ce sujet.
Les trois fils conducteurs de cette vaste autobiographie :
-- L’apprentissage, la vocation littéraire et la genèse de ses écrits ; la construction de soi en exil
-- La vie intellectuelle, le climat, ses acteurs, nombreux portraits d’écrivains
-- Le combat contre le régime nazi de 1933 à 1945

Intelligence, sensibilité, humilité et pudeur tout au long de ce témoignage – une brillante réflexion sur une époque. En finissant le livre, j’ai regardé à nouveau les premières pages. Cette autobiographie couvre quarante ans qui ont changé le monde. C’est justement la dimension historique que je vais garder en mémoire.
Extraits
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Berlin, 1923
« [le génie de la ville de Berlin] et sa fonction historique consistent à s’emparer des atmosphères et des tendances latentes en Allemagne, à les absorber, à leur donner une forme dramatique et à les pousser à l’extrême. [ ] Si le Berlin de l’Empire, avec des grands cliquetis de sabre, avait donné le spectacle de la dynamique agressive du jeune nationalisme allemand, le Berlin des premières années d’après-guerre reflétait avec le même éclat l’état d’esprit apocalyptique de la nation vaincue. » p168
« Le romantisme des bas-fonds était irrésistible. Berlin – ou plutôt l’aspect de Berlin que je voyais et que ma naïveté tenait pour le seul qui fût essentiel, [ ] m’enthousiasmait par sa dépravation éhontée. Berlin était ma ville ! Je voulais rester. » p 171
p168
Nidden, 1929
« Nidden [Nida, en Lituanie] était un village idyllique sur la Baltique, célèbre pour une espèce particulière d’élans qui, de leurs corps lisses et massifs, barraient la route sablonneuse au promeneur et à l’automobiliste. N’avaient-elles vraiment qu’une corne, ces créatures douces et rétives, lourdes et gracieuses ? Dans mon souvenir, elles prennent des allures d’animaux fabuleux … Issues d’une ménagerie mythique, victimes d’un enchantement, elles ont des yeux que dore la tristesse, sous de larges fronts brillants et penchés, humbles et menaçants. » p287
New York, 1941
« Cet après-midi, au bar du Bedford. Erika [la sœur de l’auteur] et moi avons suscité l’irritation d’un vieux gentleman en parlant allemand. [ ] « Stop it ! rugit le coléreux vieillard, (c’était très effrayant : il aurait pu avoir une attaque). That damned nazi talk ! Stop it ! Or speak english ! »
Il aurait pu continuer longtemps à vociférer, mais Erika l’interrompit, aimable et grande dame jusqu’au bout des ongles. « Deligted to meet you, Sir ! » Elle dit ces mots avec son accent britannique le plus distingué, ce qui impressionna si fort l’irascible vieil homme qu’il en resta, littéralement, bouche bée. Sa bouche resta ouverte, tandis qu’Erika continuait, avec une grande dignité : « Je comprends votre animosité, monsieur ; je partage votre répulsion devant les horreurs du nazisme. Mais comme l’Amérique ne se décide toujours pas à combattre ou, au moins à boycotter cet horrible régime, à quoi bon boycotter une langue qui, d’ailleurs, sous sa forme correcte et pure, n’a guère de parenté avec le jargon nazi ? »p569
……
« Le nationalisme, tout nationalisme, est à mes yeux l’aberration la plus dangereuse et la plus imbécile de l’homme moderne. Je me suis séparé de ma nation parce que sa forfanterie agressive m’écœurait. Je crois à la civilisation universelle et indivisible à laquelle ce siècle aspire. » p566
Extrait (profession de foi) p565 :
« Quelle sorte d’histoire ai-je donc à raconter ? L’histoire d’un intellectuel entre deux guerres mondiales, celle d’un homme, par conséquent, qui a dû passer les années décisives de sa vie dans un vacuum social et spirituel, s’efforçant avec ferveur – mais sans succès – de s’intégrer à une communauté quelconque, de se soumettre à un ordre quelconque, toujours errant, toujours vaguant sans trêve ni repos, toujours inquiet, toujours en quête…
L’histoire d’un Allemand qui voulait devenir Européen, d’un Européen qui voulait devenir citoyen du monde ;
L’histoire d’un individualiste [ ]
L’histoire d’un écrivain qui, au départ, s’intéresse à l’art, à la religion, à l’érotisme, mais qui, sous la pression des circonstances, parvient à une attitude politiquement responsable et même militante …
Mon histoire – c’est le plus sincèrement, le plus exactement possible qu’il me faut l’écrire [ ] »
Titre en original : Der Wendepunkt. Ein Lebensbericht
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