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Citations sur Le tournant : Histoire d'une vie (44)

Bien sûr, j'arrivais à Paris avec une sorte d'enthousiasme préconçu, décidé à tout trouver magnifique. Mais ce préjugé favorable aurait fort bien pu se transformer en la plus amère désillusion, si Paris, justement, avait été décevant. Cependant je trouvais la réalité encore plus envoûtante que je ne me l'étais imaginé dans mes rêves les plus audacieux.

Non que ce premier séjour à Paris eût été fertile en évènements sensationnels ! Je tombais amoureux d'une ville - c'est tout ; d'une ville avec ses odeurs, ses couleurs et ses bruits, avec ses perspectives royales et ses recoins tranquilles, avec son rythme, sa mélodie et - oui - avec sa lumière.

Ce fut assurément cela surtout, cette lumière, qui, dès le début, m'ensorcela. L'atmosphère de cette ville, le ciel de Paris, pleins de charme et de discrétion, semblent absolument faits pour s'accorder au goût, au style dune civilisation mûre et raffinée. La voilà cette atmosphère, intelligemment partagée et pourtant dispensée avec prodigalité : les tonalités gaies de Renoir - rose souriant, bleu profond, carmin lumineux ; les ombres solennelles que nous connaissons pour les avoir vues dans les paysages classiques de Poussin ; la gamme infinie des gris dont Monet dispose avec une nonchalance princière ; les contrastes crus entre les couleurs, qui sur les affiches de Toulouse-Lautrec, attiraient vers les théâtres le public du Boulevard ; le noir dynamique du grand Géricault, les beaux bruns et jaunes de Braque, le bleu morbide de Picasso de la première manière .... quelle palette ! Quelle profusion d'effets de couleurs, de nuances précieuses !

page 208
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André Gide

Il a pu m'arriver en des instants d'ambition naïve et inconsidérée, de souhaiter ressembler un jour le plus possible à cette personnalité authentique, inimitable - André Gide. Mais plus j'apprenais de lui et plus la vanité d'une telle aspiration me devenait évidente. Etre semblable à un autre ? Ce n'est pas à cela qu'il nous exhorte. Bien au contraire, le conseil qu'il donne, dans les Nouvelles Nourritures, à son ami et disciple imaginaire, vaut pour chacun de nous :

" Ne te fie à personne, n'écoute que la voix de ta propre conscience ! Sois sincère, surtout envers toi-même ! Cherche à découvrir ton être propre ! Suis ta propre route ! "Deviens qui tu es".

Ce n'est pas toujours le chemin le plus direct qui conduit à la connaissance et à l'accomplissement de soi ; le sentier le plus tortueux est souvent le meilleur. Celui qui craint et qui évite par trop l'obscurité ne parviendra peut-être jamais à trouver la lumière......

page 305 - Ndl : une amie me disait "ce n'est pas le chemin qui est difficile, c'est le difficile qui est sur le chemin".

Marc Chagall

J'aimais m'attarder dans les ateliers des grands peintres parisiens et regarder les Maîtres au travail. Une visite chez Marc Chagall, par exemple, était comme une excursion dans des sphères que l'on n'avait, jusque-là, connues qu'en rêve : ce n'était pas sans quelque joyeux étonnement que l'on s'aventurait dans ce paysage enchanté et enchanteur. Les vaches pourpres sur le toit de l'isba russe, le doux envol des agneaux violets, les marchands juifs extatiques avec leur barbe et leur caftant flottants, l'ivre sourire des amants bienheureux couchés dans les bras l'un de l'autre tout au fond d'un ciel phosphorescent - on avait toujours eu le pressentiment que ces choses-là existaient. Le maître de maison - d'ailleurs généralement trop occupé pour se lancer dans de longues conversations - n'avait besoin de rien expliquer : on se sentait chez soi dans son univers de Fêtes volantes, de lunes chatoyantes et d'explosions de fleurs. Certes, la loi de la pesanteur qui régit la réalité empirique était, ici, abolie : mais à sa place, il y avait un équilibre poétique, une cohérence magique, une harmonie de rêve, dont la validité pour nous - allait de soi. Chez Marc Chagall, on ne pouvait rien mettre en doute, rien n'était superficiel ou excentrique : tout était vrai, tout était juste.

page 306
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Suite à de nombreux cauchemars de Klaus, enfant :

Il (Thomas) apparut dans notre chambre à l'heure du coucher - ce qui était déjà en soi un évènement inhabituel - et tint avec nous une conférence d'ordre stratégique. Le visiteur décapité, pensait-il, n'était en réalité pas si terrible que ça - nous ne devions pas nous laisser bluffer par lui.
"S'il revient, ne le regardez tout simplement pas, conseilla notre père. Alors, il disparaîtra probablement de lui-même, parce que ce serait ennuyeux et même un peu gênant pour lui de rester là sans que personne ne le remarque. Mais si vous n'arrivez pas à vous débarrasser de cette manière, il vous faudra le prier à haute voix d'aller au diable. Vous n'aurez qu'à le lui dire qu'une chambre d'enfants n'est pas un lieu de promenade pour des fantômes convenables et qu'il devrait avoir honte. Et si cela ne suffit toujours pas, alors vous ferez bien d'ajouter que votre père est très irritable et ne tolère pas de vilaines apparitions dans sa maison. Alors, il déguerpira sans aucun doute - car on sait parfaitement dans le milieu des fantômes que je peux être vraiment tout à fait terrible si jamais je perds patience".
Nous suivîmes son conseil et aussitôt l'apparition cessa. Ce fut un succès décisif qui nous prouva de la façon la plus impressionnante quel était le pouvoir de l'influence paternelle jusque dans le monde des esprits - c'est à cette époque que nous commençâmes à le nommer "Le Magicien", tout d'abord seulement entre nous ; mais comme nous remarquâmes que ce nom ne lui déplaisait pas, il entra bientôt officiellement en usage.

page 32
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- Mariage de Katia avec Thomas Mann

Et maintenant ? Qu'est-ce qui l'attendait, une fois la fête finie ? Était-ce une nouvelle aventure, un nouveau conte de fées qui allait commencer à présent ? Que voulait-il dire, son jeune écrivain, quand il parlait du "bonheur sévère" qu'ils vivraient ensemble ? Il avait une façon étrange de dire ce genre de choses, à la fois solennelle et ironique, comme s'il se moquait un peu de ses propres paroles, de ses propres sentiments. "Un bonheur sévère"... comme cette formule le dépeignait bien! Il méprisait tout ce qui était mou et veule. Le bonheur - un bonheur ordinaire, sans sévérité - serait bien un peu mou et veule. Un rien banal, un peu commun : tout cela, la jeune épousée pensive le comprenait.

page 26
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Qui s'est libéré de ses illusions et veut travailler n'a pas tout perdu.
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Nous faisions des discours contre la guerre et le fascisme. Mais l'Europe, dans sa peur du danger imaginaire qu'était le communisme, fermait les yeux devant la véritable menace. Par peur aveugle, bête et superstitieuse du progrès social, l'Europe acceptait la régression sociale la plus grossière : le fascisme, et avec lui, la guerre.
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Le plus bel encouragement me vint de Stefan Zweig que je connaissais alors à peine personnellement. Cet infatigable découvreur et promoteur de jeunes talents avait trouvé le ton qui devait m'aller droit au cœur : " Continuez seulement comme cela, cher ami ! Certains sont peut-être enclins à vous démolir parce que vous êtes le fils de votre célèbre père. Ne vous inquiétez pas de semblables préjugés ! Travaillez ! Dites ce que vous avez à dire - et ce n'est pas peu si je ne me trompe ..... J'attends beaucoup de vous. Ecrivez un nouveau livre ! Et pensez à moi en travaillant - aux espérances que je nourris pour vous, à la confiance que je mets en vous."


Ndl : Heureusement qu'il est là Stefan!
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En tant qu'homme civilisé, on est naturellement pacifiste - pourrait-on ne pas l'être?
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Exil 1933 - 1936

Hans, le chauffeur de la famille, nous attendait comme d'habitude sur la Place de la gare avec la Buick familiale. Mais son attitude, son expression s'étaient curieusement modifiées. Il avait l'air pâle et défait, ce grand et fort gaillard, et le voilà qui tremblait ! Mais oui, c'est d'une main très nettement tremblante qu'il nous ouvrait la portière. Sa voix, elle aussi, chevrotait : "Soyez prudents ! chuchota-t-il très ému. Tous les deux mais, vous surtout, Mademoiselle Erika ! Ils vous cherchent , ceux de la Braune Haus (Maison Brune) vous savez ce que je veux dire ! Ne sortez pas dans la rue, Mademoiselle Erika ! Que personne ne sache que vous êtes en ville, Monsieur Klaus ! S'ils vous attrapent ...". Son geste ne laissait aucun doute sur ce qui nous arriverait dans ce cas.

Nous ne devions apprendre que plus tard pourquoi notre fidèle Hans était si nerveux ce jour là et d'où il savait tant de choses. Il était doublement traître et avait doublement mauvaise conscience, le brave homme robuste à la tignasse blonde et aux yeux pensifs. Il y avait déjà plusieurs années qu'il travaillait comme mouchard pour la Braune Haus où il rendait compte régulièrement de tout ce qui se passait chez nous. Mais cette fois, au moment décisif, il avait oublié son devoir et nous avait prévenus, pour des raisons humanitaires, probablement. Sans doute, lui faisions nous pitié. Il savait bien ce que "ceux-là" nous feraient s'ils nous attrapaient .... Ce furent des moments pleins d'angoisse et d'une agitation fébrile que ces dernières heures rue Porchinger, à Munich, en Allemagne. Songeant à l'avertissement du chauffeur félon mais néanmoins charitable, nous restâmes cachés dans nos chambres ; personne, pas même la cuisinière ou la femme de chambre, ne devait être au courant de notre arrivée. Mais le téléphone fonctionnait et nous appelâmes d'abord Arosa où le Magicien et Mielen se reposaient des fatigues d'une tournée de conférences. A Bruxelles, Amsterdam, Paris et dans d'autres villes, notre père avait parlé "de la grandeur et des souffrances de Richard Wagner", après quoi son programme devait se terminer par des vacances dans les montagnes suisses : à présent, toujours suivant ce programme, il allait rentrer à la maison ; nous trouvâmes prudent de l'en dissuader.

pages 379/380
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Le jeune garçon (Klaus 16 ans) aime à l'écouter (Heine) et il y trouve un grand profit. Cet adolescent prête l'oreille à tous ceux qui portent au front le signe du malheur et dont les abîmes sont la demeure.

De Profundis ! Ce fut à cause de ce document que je réservai à l'Oscar Wilde de la période tardive une place aussi prépondérante dans mon temple de la gloire ; cette grande lettre du prisonnier à Lord Alfred Douglas avait pour moi plus d'importance que The Picture of Dorian Gray, The Importance of Being Earnest et Salomé réunis. Le Wilde brillant de l'époque du dandysme et du succès me laissait aussi froid que le Heine jeune et charmant qui chantait avec une sage petite bouche en cul de poule "Tu es comme une fleur". C'était le Wilde ruiné et déchu qui avait lui-même voulu et provoqué sa perte (par hybris ? par volonté chrétienne de mortification ?) Wilde, le pénitent dont les lèvres autrefois séductrices prononcent encore d'insolents mots d'esprit ; c'était un Wilde tragique que je priais, en m'inclinant très bas, de bien vouloir se mêler à mon illustre assemblée.

page 151
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