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Critique de SophieLesBasBleus


Lire un roman de Pascal Manoukian c'est, pour moi, faire l'expérience d'un réel décrypté par le récit et par une écriture remarquable de sensibilité et d'acuité. Et j'ai retrouvé dans "Le paradoxe d'Anderson" ce souffle saisissant qui bouleverse la conscience tout en suscitant des émotions intenses. Je me creuse la tête pour tenter de discerner ce qui fait cette force, mais je crois, en définitive, que la matière du roman et son traitement forment un ensemble si cohérent et si maîtrisé qu'il m'est difficile d'en morceler la substance.
J'imagine une petite ville de l'Oise. Non. Je ne l'imagine pas mais je la vois, j'y suis, j'y habite. Une banlieue résidentielle où vivent Aline, Christophe et leurs deux enfants, Léa et Mathis. Un crédit pour acheter la maison où ils sont bien, une voiture qu'il faudrait songer à remplacer, quelques économies à réaliser pour que Léa puisse, après son bac ES, poursuivre des études qui lui apporteront (Aline et Christophe n'en doutent pas) un métier stable, une situation sociale supérieure à la leur. Donner à Léa et Mathis tous les moyens pour qu'ils puissent sortir de l'incertitude des lendemains, c'est l'espoir et l'ambition de leurs parents, eux-mêmes employés dans deux usines de la ville proche. La vie familiale pourrait être douce entre les révisions de Léa, les galipettes de Mathis et la tendresse qui lie parents et enfants. Elle pourrait l'être si le souvenir des combats de Léon-Staline, l'irréductible arrière grand-père, ne venait donner un éclairage inquiétant aux cours d'économie de Léa, si la détresse de Sandra, ancienne collègue d'Aline, ne recelait une insidieuse menace, si la situation générale n'était marquée par une instabilité angoissante...
Et puis, en quelques mois, une double déflagration remet tout en cause : restructuration, délocalisation, plan social, licenciement, chômage. Ce qui semblait acquis est violemment anéanti. Pour protéger leurs enfants, Aline et Christophe se taisent, feignent l'optimisme, imaginent de fabuleuses stratégies pour masquer la réalité, luttent pied à pied et s'inventent Robin des Bois ou Bonux and Tide. de leur drame, ils font un roman poétique et épique pour échapper à la tragédie.
Et pour nous raconter cette histoire contemporaine, Pascal Manoukian va chercher l'humanité, la générosité et l'intelligence au plus profond des mots. Au réalisme de la description répond la superbe poésie de moments hors du temps, comme les vacances inventées pour Mathis. le romanesque de l'intrigue laisse filtrer une percutante analyse économique et sociale, sans que jamais l'une ne prenne le pas sur l'autre. Sur trois générations, Léon, Aline et Léa nous font entendre, percevoir cette paradoxale dissolution des perspectives d'évolution sociale. La poursuite des études qui était, pour le monde ouvrier, l'un des moyens traditionnels d'acquérir un statut professionnel supérieur à celui des parents, est devenue une nouvelle cause d'endettement alors que les diplômes obtenus n'assurent plus un travail correspondant aux compétences ainsi acquises.
le constat pourrait être accablant de désespoir, n'était la force et l'irrésistible énergie des personnages mis en scène par l'auteur. Comme pour les autres romans de Pascal Manoukian, je n'ai pu lâcher "Le paradoxe d'Anderson" avant la dernière page. Comme ses autres romans, il agit à la manière d'un révélateur, d'un éveilleur de conscience et de lucidité. Il me semble être passée dans une centrifugeuse d'émotions, de perceptions et de représentations. Ce roman détient le rare pouvoir de troubler et d'enrichir, de faire don d'une parcelle d'humanité dont j'ignorais peut-être qu'elle me manquait. C'est tout ce que j'attends d'une lecture et celle-ci y a amplement pourvu !
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