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Critique de Woland


Etoiles Notabénistes : ******

The Doll's House
Traduction : Marguerite Faguer

ISBN : inconnu à l'époque - 978-2234058729 pour l'édition présentée ci-dessus "Nouvelles" chez Stock, la plus récente, dont est extraite la nouvelle "La Maison de Poupées."

Dans "La Maison de Poupées" que Katherine Mansfield rédigea en 1920, il y a :

- l'incontournable trio des soeurs Burnell enfants, à savoir, dans l'ordre chronologique Isabel, toujours aussi donneuse de leçons ; Kezia (alter ego de l'auteur), qui diffère déjà tellement de ses soeurs par l'indépendance du caractère et aussi par sa très grande sensibilité qui la fait voir tout et ne manquer aucun détail ; et la petite Lottie, en général à la remorque mais à qui on pardonne tout ;

- la tante Beryl, soeur cadette de Linda, la mère des petites Burnell. Elle est jolie, jeune, fraîche et prie le Ciel tous les jours de lui faire faire, avant qu'elle ne s'étiole, un beau mariage avec un homme riche et qu'elle aimera. Elle flirte beaucoup et là, justement, elle vient de recevoir une lettre, qui ne lui fait nul plaisir, d'un certain William. Aussi, le jour de la visite de certaines deux petites filles dont nous parlerons plus bas, rôde-t-elle à travers la maison, rancunière et les nerfs à fleur de peau, cherchant non pas qui dévorer mais qui punir pour sa déconvenue personnelle ;

- la cour ensoleillée de la maison où, parce que l'odeur de peinture qu'elle répandait donnait des vapeurs à tante Beryl, on a déposé la maison de poupées offerte aux fillettes par Mrs Hay, une connaissance des Burnell, venue passer une semaine chez eux et qui a estimé que ce cadeau remercierait délicatement ses hôtes des bontés qu'ils ont eues pour elle. Il est vrai que cette maison de poupées est belle, très belle. On l'ouvre comme, selon Kezia, on voudrait que toutes les maisons fussent ouvertes, non par la porte grincheuse qui ne montre qu'un vestibule inexpressif, mais par la façade tout entière qui révèle ainsi, en s'abaissant, toutes les richesses de son élégant intérieur, les petites chambres, les petits lits, les petits meubles, tous luxueux mais de bon ton, le papa et la maman poupées et leur petit bébé, les glaces et les toiles entourés de cadres dorés, le papier peint - du vrai papier peint - sur les murs, les assiettes et les couverts minuscules, la petite soupière, les tapis ... Une maison idéale en miniature. Cependant, ce que Kezia a jugé tout de suite exceptionnel là-dedans, c'est la petite lampe du salon. Elle la trouve merveilleuse, cette lampe, et, sincèrement, elle estime (et Mansfield continuera à le penser) que c'est là le seul détail "authentique" dans cette maison, tant ce petit objet, qu'on ne peut évidemment pas allumer malgré le liquide qu'il contient et qui est censé représenter l'huile, irradie de lumière intérieure - une lumière que ni Isabel, ni Lottie ne paraissent voir ;

- la seule école de la communauté assez retirée où Stanley Burnell a acheté sa propriété. Comme elle est seule de son espèce, tous les enfants sont bien obligés de s'y mêler, et toutes les classes sociales aussi. Ainsi y aperçoit-on, côte à côte, les enfants toujours bien habillés et dont les familles ont pignon sur rue - comme les petites Burnell - les enfants de familles un peu moins aisées mais de tout aussi bonne réputation et puis, comme d'habitude, quelques parias ;

- et, parmi les parias, il y en a deux qu'on remarque plus que les autres : Lil et Else Kelvey. (Tout le monde, même ceux qui détestent ces deux petites, appelle d'ailleurs la cadette "not'Else", comme le fait sa mère. Pourquoi ? Sans raison apparemment. ) En revanche, tout le monde sait que "not' Else" est un peu plus simple que Lil, laquelle est déjà très loin d'être intelligente - à quoi cela lui servirait-il, d'ailleurs, l'intelligence ? Songez, ma chère, que sa mère fait des ménages et que son père est ... oh ! j'ai peine à le dire mais enfin, il faut être honnête bien que, cela va de soi, les enfants n'en soient nullement responsables ... oui, que son père est en prison ...

- et, pour finir, il y a l'orgueil d'Isabel qui, à peine la maison de poupées installée dans la cour de la maison, décide, en accord avec ses soeurs, d'en décrire les mille et une merveilles à leurs camarades d'école, avant - il faut savoir graduer les plaisirs - de les inviter deux par deux à venir les admirer de visu.

Dans la cour de l'école, à la récréation, les conversations de toutes, leurs chuchotements, leurs apartés ne tournent plus qu'autour d'un seul thème : la maison de poupées des petites Burnell. Isabel n'en finit pas d'en dire monts et merveilles et les autres écoutent, bouche bée, posant parfois une question et le regrettant presque aussitôt devant l'oeil courroucé de la conteuse, fort fâchée d'être ainsi interrompue. Les petites Kelvey, même si elles restent dans leur coin habituel, à l'écart, pour manger leur déjeuner ou leur goûter, sont donc obligées de faire pareil : elles écoutent, elles aussi. Il faut dire qu'avec Isabel aux commandes, il serait difficile à quiconque d'ignorer quoi que ce soit sur la fameuse maison de poupées. Ce n'est plus un monologue : ça tourne à la logorrhée ...

Pour Isabel, tout cela est très plaisant. En décrivant la maison de poupées, c'est elle-même qu'elle met en valeur, ses soeurs comptant à peine dans l'histoire. Dès le premier jour, sa cour d'admiratrices patentées a grossi dans des proportions considérables et c'est à qui sera son "amie." A qui, surtout, elle permettra de venir admirer le jouet magnifique. Mais pas plus de deux à la fois : il ne faudra pas faire du bruit et provoquer l'une des horribles migraines qui taraudent Linda, sa pauvre et chère maman.

Deux par deux donc, toutes les élèves de l'école y passent.

Enfin, presque toutes.

Les petites Kelvey, elles, attachées à leur condition de parias comme deux bons chiens martyrisés à leur niche, et persuadées d'être des moins que rien, indignes même de rêver de la maison de poupées des filles Burnell, n'envisageraient, ni l'une, ni l'autre, de se risquer à quémander à la si fière Isabel un geste de bonté pourtant élémentaire.

Mais voici qu'un soir, alors que toutes deux rentrent chez elle, "not' Else" pendue aux jupes de son aînée, Kezia, qui jouait seule dans le jardin parce qu'elle en avait plus qu'assez non pas tant de Lottie que d'Isabel, les appelle et leur propose de leur montrer la maison. Les petites Kelvey n'en reviennent pas ...

Tout l'art de Mansfield, nous le savons depuis longtemps, réside en cette façon unique qui est la sienne de décrire la vie telle qu'elle est, sans fioritures, dans son mélange de cruauté souvent insoutenable, de mesquinerie offusquée mais aussi de beauté incroyable et de bonté plus présente qu'on ne le croit et pourtant impensable dans sa simplicité.

Avec pudeur, atout majeur de la nouvelliste, celle-ci passe sur les sentiments qui poussent Kezia à défier non seulement Isabel - cela, elle le fait couramment, comme on le fait tous en fratrie - mais aussi la société, le système, qui pénalisent deux petites innocentes (Linda Burnell a bien recommandé à l'humble Mrs Kelvey, la dernière fois qu'elle l'a vue, de veiller à ce que, SOUS AUCUN PRETEXTE, ses deux grotesques fillettes n'adressent la parole aux siennes) parce que, pour que certains, dans ladite société, savourent le fait de constituer ce que l'on appelle "le haut du panier", il faut qu'elles soient pénalisées, il faut qu'elles souffrent. D'ailleurs, pour souffrir, il faut un coeur. Or, les deux petites Kelvey sont-elles assez intelligentes pour en avoir un ? Et, si elles en ont un, quelle importance, dans le fond ? Détournons la tête, vite, vite, oublions, oublions que ce coeur bat comme le nôtre ...

Par instinct, le lecteur, qui commence à bien connaître Kezia et qui a aussi appris à découvrir la Kezia adulte, celle qui lui a légué, en les capturant dans ses nouvelles, tous ces minuscules tic-tacs arrachés à la marche du Temps, et un génie qu'on ne peut pas oublier dès lors qu'on l'a frôlé ne fût-ce qu'une seule fois, le lecteur sait que la petite fille fait cette proposition aux petites Kelvey parce que l'attitude de sa soeur et de la société (dont Isabel est déjà un exemple si parfait et si cruel) la révolte et que, pour elle, Kezia, considérée par sa famille non comme une paria mais comme "différente" et "incompréhensible", ce qu'Isabel impose aux petites Kelvey, est d'une rare et violente injustice.

"La Maisons de Poupées", de Katherine Mansfield, est l'un de ces textes qui, par sa simplicité apparente, sa relative brièveté et aussi le naturel inouï dont son auteur fait preuve pour nous raconter cette histoire qui en dit si long sur l'être humain, se laisse refermer avec une troublante douceur, allumant ainsi, ultime don offert à un lecteur ébloui et privilégié, une infinité de "'tites lampes" qui, tout comme pour Else Kelvey, ne s'éteindront jamais plus - ni dans ses rêves, ni dans son coeur. ;o)
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