« Félicité », c'est l'entrée de la Nouvelle-Zélande dans les belles lettres enfin mondialement reconnue. Électron libre qui a gravité un temps autour du Bloomsbury Group, Katherine Mansfield a quitté son Océanie natale pour vivre en Angleterre, fuir en Allemagne, se reposer et mourir en France. Trop pressée pour s'éterniser, elle excelle dans la forme courte, à l'image de sa vie, fauchée en pleine jeunesse.
Pour la première fois en français, Anne Consigny donne voix au recueil de nouvelles qui a fait la renommée de Katherine Mansfield.
Musique : « Sonate pour violoncelle seul », opus 28, dEugène Ysaÿe, joué par Ole-Eirik Ree, une production Naxos.
Ce livre audio est disponible en librairie en CD MP3 et au format numérique en téléchargement et en streaming depuis février 2021 : https://www.desfemmes.fr/livre-cd-aud...
Le texte français, traduit de l'anglais (Nouvelle-Zélande) par J.-G. Delamain en 1932, est disponible dans le recueil « Les nouvelles » paru en 2006 aux éditions Stock.
Directrice artistique : Francesca Isidori.
Ce livre audio a été conçu avec le soutien de la SCPP.
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Le soleil dardait à travers la verrière de la gare de longs rayons bleu et or ; un petit garçon allait et venait le long de la rame avec un panier de primevères. Il y avait quelque chose chez les gens - chez les femmes surtout - quelque chose de paresseux et pourtant d'ardent. Le jour le plus émouvant de l'année, le premier vrai jour de printemps avait découvert sa délicieuse beauté tiède, même aux yeux de Londres. Il avait mis de l'éclat dans chaque couleur, un nouveau ton dans chaque voix, et les gens de la ville marchaient comme s'ils possédaient de vrais corps vivants sous leurs vêtements, avec de vrais coeurs vivant pompant un sang alerte.
Ce que tu as essayé de faire, depuis que tu m'as épousée, c'est d'obtenir ma soumission, de me transformer en ton ombre, de te reposer sur moi si complètement que tu n'aurais qu'à me regarder pour lire l'heure exacte inscrite sur moi d'une manière ou d'une autre, comme si j'étais une pendule. Tu n'as jamais été curieux de moi, tu n'as jamais cherché à explorer mon âme. Non, tu voulais que je m'établisse au rythme de ton existence paisible. Oh! Comme ton aveuglement m'a outragée...
LE SECRET
Tout au fond de l'océan
Gît un coquillage arc-en-ciel.
Il est là, toujours, brillant paisiblement
Sous les plus hautes vagues des tempêtes
Comme sous les bienheureuses vaguelettes
Que le vieux Grec appelait rides de rire.
Ecoute - tout au fond de l'océan
Le coquillage arc-en-ciel chante.
Il est là, toujours, chantant silencieusement.
THE SECRET
In the profoundest ocean
There is a rainbow shell,
It is always there, shining most stilly
Under the greatest storm waves
And under the happy little waves
That the old Greek called "ripples of laughter."
As you listen, the rainbow shell
Sings - in the profoundest ocean.
It is always there, singing most silently !
"Why does one feel so different at night? Why is it so exciting to be awake when everybody else is asleep? Late—it is very late! And yet every moment you feel more and more wakeful, as though you were slowly, almost with every breath, waking up into a new, wonderful, far more thrilling and exciting world than the daylight one.
(Pourquoi se sent-on si différent la nuit ? Pourquoi est-ce si excitant d'être éveillé quand tout le monde dort ? Il est tard - il est très tard ! Et pourtant, à chaque instant, vous vous sentez de plus en plus éveillé, comme si vous vous réveilliez lentement, presque à chaque respiration, dans un monde nouveau, merveilleux, bien plus palpitant et excitant que celui du jour.)"
La mer léchait les piliers de ces quais, comme si elle buvait quelque chose de la terre.
Le monde a changé. Le bruit de la pendule a faibli,
S'est amenuisé, est devenu chose infime.
Dans l'obscurité j'ai murmuré : " Si elle s'arrête, je mourrai. "
Ce fut au tour de la vieille femme de réfléchir. Cela la rendait-elle triste ? De regarder loin, bien loin en arrière.
De scruter, comme Kezia le lui avait vu faire, le long tunnel des années. De continuer longtemps après, comme font les femmes, à suivre des yeux ceux qui ont disparu. Cela la rendait-il triste? Non, la vie était ainsi.
Les voix de l'air
Survient alors cet instant rare,
Où, sans que je sache bien pourquoi,
Les petites voix qui sont dans l'air
Résonnent par dessus vent et mer
Vent et mers alors s'inclinent
Soupirant en double croche de contrebasse
Heureux de donner l'accompagnement
Aux gorges frêles d'un accord bourdonnant
Ces gorges frêles qui chantent et montent
Dans la lumière avec une grâces légère
Et comme une douce magique surprise
De s'entendre et de se reconnaitre telles
Ces petites voix, la bête, la mouche,
La feuille qui tape, la cosse qui claque,
la brise qui souffle sur l'herbe penchée
le passage sifflant de l'insecte.
(entendu sur France-Culture vers 17h)
1635
L'abîme
Un abîme de silence nous sépare l’un de l’autre
Je me tiens d’un côté de l’abîme et vous de l’autre
Je ne peux pas vous voir ou vous entendre,
cependant je le sais vous êtes là.
Souvent je vous crie votre nom d’enfant
Et prétends que l’écho qui répond à mon appel est votre voix.
Comment pouvons-nous jeter un pont sur cet abîme? Jamais.
Par une parole ou par une rencontre
Une fois j’ai pensé que nous pourrions le remplir avec des larmes
Maintenant je veux le faire retentir de nos rires.
(traduit de l'anglais par Jean-Pierre Le Mée)
Mon Moi adulte nous regarde comme deux petits enfants qu'on a envoyé au jardin. Et nous nous y promenons main dans la main pendant que mon Moi adulte nous surveille par la fenêtre. Il nous voit nous arrêter, tâter l'écorce poisseuse des arbres, ou nous pencher vers une fleur pour essayer de la faire s'ouvrir en respirant tout près d'elle, ramasser un caillou, le frotter, puis le tenir en face du soleil pour voir s'il contient de l'or.
[description du regard qu'elle pose sur eux, dans une lettre destinée à son époux]