Les nouvelles lettres persanes

"J’ai souvenir, adolescent, de ces années 1990 où l’on parlait encore de mondialisation heureuse, du village global, et où l’on se disait volontiers citoyen du monde. J’ai de vagues souvenirs des Jeux olympiques de Barcelone, où l’Est et l’Ouest étaient enfin réunis, ou encore du Sommet de la Terre à Rio, où l’on pensait avoir résolu tous les grands problèmes écologiques : le changement climatique, la perte de la biodiversité et la désertification. C’étaient les grandes années de la coopération internationale et du multilatéralisme, une décennie où j’avais sincèrement l’impression que les frontières allaient finalement s’ouvrir et où l’on se promettait, la main sur le cœur, que plus jamais des murs ne sépareraient des peuples les uns des autres.
On dit souvent que tout a basculé le 11 septembre 2001, mais moi je crois que c’est arrivé quelques mois plus tôt, quand George W. Bush a annoncé, en mars de la même année, que les États-Unis ne ratifieraient pas le protocole de Kyoto, signé quatre ans plus tôt. Face au grand enjeu du xxie siècle, et alors même que nous n’y étions pas encore tout à fait entrés, les États-Unis faisaient cavalier seul, affirmant crânement que leur mode de vie n’était « pas négociable »." (François Gemenne)

"Cher Carl,
Nous arrivons à mi-vol de Mars-H1, la première expédition habitée vers la planète rouge. Depuis hier, nous ne pouvons plus distinguer la Terre. La planète bleue est devenue un petit point imperceptible à l’œil nu. Le Soleil est désormais entouré d’un cosmos noir d’encre qui donne une terrible impression de vide. Que faisons-nous là, au milieu de nulle part ?
J’ai réécouté ce matin le message que tu as adressé aux premiers Terriens qui partiraient explorer Mars. Je crois que c’était en 1996, quelques semaines avant que tu ne nous quittes. Ça me semble si loin… Dedans, tu imaginais les raisons qui motiveraient ce voyage. Honnêtement, je ne sais toujours pas pourquoi j’ai embarqué. Je veux dire, les raisons profondes qui m’ont poussé à partir..." (Extrait de la lettre de l'astronaute Jean-François Clervoy à l'astronome Carl Sagan)

« L’honnête homme du xxie siècle est curieux jusqu’à la contradiction : il aime à la fois Lionel Messi et Umberto Eco, la politique politicienne et celle d’Aristote, Hannah Arendt et 50 Cent. » Voilà ce qu’Usbek & Rica écrivait dans l’édito de son tout premier numéro. Treize ans plus tard, nous n’avons pas changé d’avis : seule la pluralité des regards permet de s’extraire de l’urgence pour apporter de la nuance, de privilégier la compréhension à la confrontation. Le livre que vous tenez entre les mains n’est ni un essai philosophique ni un roman épistolaire. Il a été pensé comme une expérience littéraire, un recueil de pensées à mi-chemin entre la chronique et la fiction, un kaléidoscope d’idées couchées sur papier pour mieux appréhender notre temps et celui qui vient. Histoire de donner raison à la jolie formule de l’écrivain Hervé Le Tellier : « L’avenir ne peut être qu’une multitude de récits. » (Extrait de la préface)