Citations sur Extra-muros : Les métamorphoses d'un voyou (17)
Serge se surprend encore, dans sa vie d'homme libre, à demander la permission. Comme à l'hôtel ou au restaurant :
- S'il-vous-plaît, je peux aller aux toilettes ?
- Mais c'est par là, monsieur, lui répond le serveur interloqué, en le regardant s'éloigner comme s'il avait croisé un extraterrestre.
Une étudiante se penche avec sollicitude et tendresse sur la petite fille dont elle pilote la joëlette.La gamine frappe dans ses mains en riant aux éclats. Il se dit qu'à présent il peut mourir. Il a créé quelque chose. C'est son trésor, il n'a plus besoin de rien d'autre.
La vie en prison, ça te rend bien plus susceptible que le commun des mortels, tu redoutes l'exclusion dans chaque geste des autres. Tu peux interpréter une distraction de l'autre comme une volonté de te rejeter, de t'exclure. Je suis vite blessé et quand on me blesse, j'ai envie de blesser. Pour éviter ça, je m'en vais. Tout le monde peut se sentir blessé mais moi, je crois toujours que c'est dû à mon passé... Il garde de la violence en lui, il en est conscient, il lui arrive de donner des coups de pied dans un meuble pour l'évacuer, il suit des séances de microkinésie pour la dompter.
[Libre] Dans une avenue bordée d'arbres, il s'attarde devant l'un deux, qu'il contemple inlassablement. Les gens s'interrogent en voyant ce type de cinquante piges rester béat d'admiration devant un platane. Ils ignorent que depuis longtemps, il n'appréhende plus les beautés de la création que par écran interposé. Il n'y a pas d'arbres en prison, il n'y a pas de fleurs. Il se gave à présent de leur spectacle.
Hors des murs, son existence n'a jamais été qu'une contrefaçon de celle du citoyen respectable. Il n'entretenait avec l'argent, l'amour, l'amitié, le travail, que des rapports factices. Une fausse identité, de faux complices, de fausses extases. Il jouait à être adulte. Et le retour en taule sonnait la fin de la récréation. Nulle part, ni dedans ni dehors, il n'a appris les règles simples d'une vie probe et ordonnée.
En fait, la solitude, j'avais commencé à la maîtriser, je me réfugiais dans mes rêves. Moi, je peux rester sur une chaise toute une journée, seul dans une pièce vide, aucun problème avec ça...
Le scepticisme de cette femme[la psychologue de la prison qui lui a fait un rapport désastreux] ne vaut pas mieux que la cruauté des matons qui se comportaient comme des primitifs barbares et incultes. Qu'est-ce qu'elle en connaît, des états d'âme du taulard ? Lui, il est bien placé pour le savoir : une parole, un geste de compréhension de la part d'un gardien te touche plus efficacement que des persécutions débiles qui nourrissent ta révolte et te poussent à la violence !
Pour obtenir sa conditionnelle, il a envisagé de suivre un stage de menuiserie. Maintenant qu'il est libre, il se pose des questions. Est-il capable de devenir cet homme sage qui doit faire le bonheur de sa compagne ? Ce travailleur modeste dont la première occupation sera d'oeuvrer à la métempsychose d'infortunés végétaux arrachés à leur forêt natale et transformés en meubles, en parquets ou en escaliers ? A force de scier, assembler, raboter, ajuster, pourra-t-il résister aux sirènes de l'aventure et se contenter de journées calmes, prévisibles ? Il n'en est pas certain
Les gardiens ne savent rien du détenu. Et l'inconnu effraie, ceux qui forment les agents pénitentiaires devraient quand même le savoir. Il faudrait encourager ceux-ci à prendre des informations élémentaires sur le prisonnier. Pour établir avec lui un vrai contact et le persuader qu'il représente pour ses semblables autre chose qu'un rebut dont il faut débarrasser la société.
Avec le recul, il s'interroge souvent sur le motif réel de ses casses. C'était le besoin d'argent bien sûr mais aussi, plus essentielle encore, la nécessité de réagir à son enlisement par une action d'éclat. Au risque - et peut-être le désirait-il secrètement - de retourner à l'abri des murs protecteurs de la prison.