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Critique de Willd


Willd
09 décembre 2019
Chercheur en neuropsychologie positive puis libraire, l'auteur signe ici son premier ouvrage.

« On trimballe toujours sa ville avec soi »
Cet aveu de l'auteur donne le ton à l'ensemble de son livre. C'est que Philippe Marczewski est amoureux de la Cité Ardente envers laquelle , comme tout amoureux, il éprouve de l'attirance et parfois du rejet.
Même lors de séjours à l'étranger, il ne peut s'empêcher de penser à elle. « Il m'arrive, quelquefois, de regarder Liège depuis les hauteurs, et je peux y voir Sheffield, celle dont je me souviens, et les quartiers et les immeubles  éparpillés dans les villes du monde où j'ai cru voir des morceaux de Liège. » (p.18)
C'est à une visite originale de Liège et de ses alentours (banlieues et campagnes) « bâtarde latine et germanique, attirée par le Sud et retenue au Nord» que l'écrivain invite le lecteur en croisant les approches par une exploration personnelle, géographique, historique, ethnographique, paysagiste, onirique...
Au gré de ses pérégrinations, il fait revivre, parfois avec un parfum de nostalgie, le passé de la ville « surnommée l'Athènes du Nord, un des centres mondiaux de la sidérurgie, haut lieu du jazz ».
La traversée de friches industrielles est l'occasion de relater l'arrivée des Italiens, parqués d'abord dans des baraquements en tôle, venus extraire le charbon des entrailles de la terre, vivant dans des corons à l'horizon limité par des terrils.
Il nous apprend aussi que les Polonais, comme ce fut le cas pour ses grands-parents, ont précédé les Italiens pour descendre dans la mine.
Parfois, le souvenir personnel se transforme en émotion lorsque l'auteur retourne sur les lieux de son enfance et évoque son exploration du bois des Cochons devenu un parc résidentiel, un des chapitres les plus touchants du livre.
Cet ouvrage bien documenté est aussi l'occasion de rappeler un bout d'histoire ou de remettre à l'honneur un personnage célèbre tel Georges Nagelmackers, le fondateur des wagons-lits européens et de l'Orient Express où il engloutit la plus grande partie de sa fortune... avant d'être enterré dans un cimetière abandonné à Angleur.
L'originalité est omniprésente comme lorsque l'auteur propose une visite de Liège en utilisant ses nombreux escaliers. « … les escaliers de Liège sont une route secrète qui mène au centre de la terre en passant par les siècles anciens, un raccourci dans l'espace-temps grâce auquel on peut faire le tour de la ville en passant par le Moyen Âge, gagner les champs sans quitter le centre, car les escaliers de Liège sont un mystère, un trou noir, une porte des étoiles, on ne s'y aventure pas si l'on craint de se perdre dans leur labyrinthe. » (p.122)
Liège ne serait pas ardente sans ses bistrots typiques. L'auteur nous livre une description haut en couleurs de certains d'entre eux, fréquentés par des descendants d'immigrés italiens ou siciliens qui passent leur temps à se disputer lors de parties de cartes sans cesse recommencées.
« Il m'arrive souvent de me dire que les cafés et les bars ont pour Liège la même importance que les pieux qui supportent Venise et l'empêchent de sombrer dans la fange, tant ils sont profondément enfoncés dans son sol et son histoire, au-delà de la boue, jusqu'au roc. » (p.210)
Mais Philippe Marczewski est aussi un grand amateur de jazz. Dans le chapitre intitulé « Blues pour trois tombes et un fantôme », il ressuscite avec passion des grandes figures tels Chet Baker, Jacques Peltzer et quelques autres qui sont toutes passées par Liège ou y ont vécu, vivotant de bouts de chandelle ou de cachets minables. Il va même jusqu'à se rendre au cimetière de Robermont pour se recueillir sur leur tombe.

Le style suit les méandres de la pensée de l'auteur, se déployant parfois sur une demi-page, accumulant des détails, multipliant des tours et détours au point d'en oublier la ponctuation, martelant des descriptions comme le rythme infernal des hauts fourneaux, s'enlisant dans une impasse ou un labyrinthe pour mieux nourrir l'imaginaire avant de reprendre le cours tranquille d'un fleuve qui, tel la Meuse, constitue la colonne vertébrale du livre... mais toujours avec le souci de débusquer l'originalité.
Parfois l'auteur manie un humour acerbe et pousse des coups de gueule contre ceux qui ont abîmé sa ville et l'ont défigurée : les architectes urbanistes.
Petit bémol:le lecteur (non polyglotte) pourra regretter l'absence de traduction des citations en langue étrangère (anglais, italien, espagnol...).

Ce livre baroque, un peu foutraque et protéiforme où l'auteur donne l'impression de jouer une partie de billard à plusieurs bandes sort des sentiers battus et décline avec passion dix balades de la ville de Liège , à la fois réelles, imaginaires et même oniriques.

Les inconditionnels de la Cité Ardente auront matière à explorer des facettes peu connues de la ville et les autres...devront réviser leur jugement !
Lien : https://willem.dominique@sky..
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