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Critique de nadejda


«Tout cela est arrivé il y a bien longtemps, quand la ville était moins vraisemblable qu'aujourd'hui, mais plus réelle.» p 9
Le basculement entre réalité et fiction, entre vérité et mensonge, parfois opposés mais cohabitant le plus souvent au coeur d'un même événement donne le ton de ce récit dont la trame sous-jacente laisse entrevoir un monde gris, de vaincus, le monde des années de l'après-guerre civile sous le régime de Franco où règne la pauvreté, les cartes de rationnement, les silences, la peur et les soupçons.
C'est aussi, et surtout, à travers la vie de tout le petit peuple coloré d'un quartier populaire de Barcelone une réflexion sur l'écriture, le pouvoir de l'imagination qui permet de créer un monde vivant, espace de liberté né de l'attention qu'on lui porte, et de le sauver de l'oubli.
Le regard qui participe et se fait témoin de la vie bigarrée et tragi-comique des habitants de la rue Torrente de las Flores dans le quartier de Gracia est celui d'un adolescent Domingo.
Passionné de musique, dévoreur de livres et fasciné par les films américains, il a choisi de se faire appeler Ringo comme John Wayne dans «La chevauchée fantastique». Avec ses copains du quartier Gracia il invente, dans le jardin de Las Animas ou sur les pentes de la Montagne Pelée, des histoires de Far-west dans lesquelles chacun d'eux veut jouer un rôle, où se mêlent des personnages de fiction issus de films ou de lectures et des voisins comme Violeta, la fille de Mme Mir «soignante et kiné professionnelle à en croire ses cartes de visite», qui les fait fantasmer.
Apprenti joaillier (comme l'a été Juan Marsé) Ringo va perdre son index droit avalé par le laminoir ce qui interrompra son apprentissage et lui fera perdre progressivement, ajouté à la pauvreté, tout espoir de devenir pianiste, sa vraie vocation.
Mais «en le libérant du travail, sa convalescence, plus longue que prévu, favorise les lectures les plus capricieuses, diverses et inégales». Il va alors passer de nombreuses heures à lire et observer sans en avoir l'air, «camouflé dans la lumière verdâtre qui filtre par la persienne», au coin d'une fenêtre du bar-marchand de vin Rodales, point central où se focalise toute la vie des habitants, les allées et venues des clients du bar et les mouvements de la rue. Il devine, ressent intuitivement que ce qu'ils inventent, et lui à leur suite, est plus important que ce qu'un simple regard saisit.
Le chapitre charnière intitulé «Calligraphie des rêves» donne son titre au roman car c'est le moment où se confirme le destin d'écrivain de Ringo, qui comprend qu'il y a autant de vérité dans la fiction littéraire que dans la réalité quotidienne, qu'elle se nourrisse l'une l'autre. Il commence alors à noter dans des carnets ses réflexions et à construire les premières phrases d'un récit.
Juan Marsé, que je découvre avec "Calligraphie des rêves", est un enchanteur. Il crée des scènes saisissantes et nous embarque, dès les premières pages, en compagnie des personnages de son roman, qui ont tous plus ou moins quelque chose à cacher, dans une histoire où abondent des moments inoubliables, bouleversants et emprunts d'humour, où domine le personnage de madame Mir, attachante par son outrance, tragique et ridicule à la fois.
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