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Critique de colimasson


Oh non, encore un bouquin de bonne femme sur les bonnes femmes, me suis-je dit. Mais pourquoi donc ai-je choisi ce bouquin pour la dernière édition masse critique ? Vous savez, c'est un peu comme pour les croissants : on en a goûté un, quand on était gosse, qui était vachement bon, avec du vrai beurre, et ensuite tous les autres se sont montrés décevants, et si on continue d'y revenir quand même, de temps à autre, c'est dans l'espoir de retrouver la saveur originelle. Pour la littérature féminine, c'est pareil que le croissant. Bien sûr que des femmes qui écrivent bien, ça existe, je me souviens en avoir lu quelques-unes et elles ne parlaient même pas forcément de leurs mioches, de leurs règles ou de leur clitoris. le malheur c'est qu'après ça, on se dit : allez, je vais lire un autre bouquin de meuffe, et là on tombe sur les derniers bouquins de la rentrée littéraire, ça parle de comment réussir un rendez-vous amoureux, chez quel coiffeur aller pour avoir une teinture réussie, ou de comment expliquer à son petit garçon qu'il ne faut pas se moquer des filles parce qu'elles n'ont pas de zizi : décidément, les bonnes femmes feraient mieux de rester aux fourneaux pendant qu'elles essaient de retrouver la recette des croissants du siècle dernier. Cependant, ayant pris au mois de septembre la bonne résolution d'arrêter de me méfier des bonnes femmes (tout d'abord parce que j'en suis une, ensuite parce que je préfère laisser à ces êtres le bénéfice du doute, enfin parce qu'il faut bien en passer par là si on souhaite avoir un aperçu de la totalité de l'expérience qu'offre la vie), j'ai décidé de me jeter à l'eau une nouvelle fois.


Eh bien oui, surprise ! La Massaia, c'est de la bonne came. Celle qui a écrit ce bouquin s'appelle Paola Masino et elle a ce privilège, que les meuffes de la rentrée littéraire n'ont pas, d'être morte depuis quelques décennies. Est-ce à dire que notre époque aurait cette fâcheuse tendance de renforcer le pli d'une tendance somme toute naturelle (la superficialité féminine) qui ne se remarque pas forcément dans l'attitude des femmes des siècles passés ? Je ne connais pas assez bien le mouvement protestataire féminin (je n'oserai ici parler de féminisme, de peur qu'on se méprenne sur le sujet) sous l'Italie fasciste pour généraliser mais, à partir de ce que Paola nous donne à voir, on sent croître le respect, tandis que les féministes de la gogo consommation qui ne rêvent que de montrer leurs nibards sur les chariots de la gay pride ne font croître que les bites des puceaux et la lassitude des autres.


A l'image de son personnage, Paola n'a jamais voulu mener une vie conventionnelle de femme. Elle a refusé de se marier et d'avoir des enfants pour se consacrer à sa vie d'artiste bohême. Pourtant, son bouquin laisse transparaître la connaissance de l'expérience qui s'empare de toute femme lorsqu'elle abandonne ses idéaux pour se consacrer aux tâches ménagères et à la vie du foyer conjugal dans un mélange d'abandon las et de résignation à l'intérieur duquel le soulagement n'est jamais bien loin. Dommage que je n'ai pas pu en apprendre plus sur le genre de vie mené par Paola, mais bon on s'en fout dans le fond.


« le matin, au saut du lit, le premier devoir de la femme au foyer est de déposer sur les lèvres de son mari un baiser chargé d'une gratitude infinie pour le bien-être qu'il lui procure quotidiennement. La Massaia avait des réserves de haines insoupçonnées, mais elle savait dissimuler. Toutefois, peu à peu, elle eut le sentiment qu'elle parvenait à supporter de mieux en mieux la monotonie de ses devoirs conjugaux ; ou plutôt si, au début, elle s'était sentie accablée par leur monotonie, à présent leur aspect routinier lui facilitait la tâche. »


Mais – et heureusement ! la Massaia ne découvre pas seulement cette triste vie à laquelle toute femme est prédestinée, et c'est ce qui la sauve en tant qu'être vivant et écrivain. Devenir ménagère c'est certes naître une seconde fois mais se souvenir quand même de sa vie d'enfant : une vie passée dans une malle, à naviguer au milieu des pensées les plus sauvages de ce monde en mastiquant des quignons de pain sec et en lisant des bouquins, au milieu d'elfes logés dans les recoins moussus du corps. le monde des bonnes gens apparaît alors comme un univers surréaliste composé de règles quantifiées auxquelles il vaut mieux se soumettre, sans se départir de sa capacité d'hallucination éveillée, qu'en interroger éternellement la signification. le combat devient alors celui qui oppose la spontanéité d'une vision sensitive à la mort cérébrale qui accompagne toute soumission au monde des vainqueurs.


« Mais où sont donc passés les jardins immaculés d'antan, enclos de haies d'aubépines et ornés de simples parterres de giroflées ? Quand a-t-elle désappris à se promener dans les sentiers tapissés de lierre, où les hautes branches des arbres forment un dôme qui masque le ciel ? Depuis qu'elle sait que transplanter un chêne coûte mille lires et qu'une graine de giroflée vaut deux lires et cinquante centimes. »


La condition de ménagère incombe peut-être aux femmes de manière la plus flagrante mais la Massaia sait voir les plis douloureux qu'on inflige de la même manière aux objets, aux plantes, aux enfants, aux époux, aux amis. Sa conscience accrue pourrait se résumer dans cette phrase, qui clôt la description d'une scène familiale idéale pour exemplariser la notion de double contrainte : « Ce mari et cette femme s'aiment vraiment, et ils aiment vraiment leur enfant, c'est pour cela qu'ils se sont si souvent du mal : ils se mortifient, et ils s'imaginent qu'ils doivent faire des sacrifices, ils ont une fausse idée de l'amour et ne font qu'aggraver la situation. » Contrairement à ce que beaucoup de féministes ne réussissent pas à faire – et pour cause, en aucun cas Paola ne mériterait de se faire traiter de féministe -, cette charmante défunte nous entraîne du singulier vers l'universel : la chute de l'être humain dans le carcan étroit du rôle que la société lui impose de jouer. Tout son roman symbolise cette trajectoire que d'étranges rêves ou hallucinations ne cessent de parcourir, comme les convulsions dernières d'un corps qui ne veut pas quitter la vie promise par l'inconscient.
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