- J'ai zappé le commentaire de philo et la prof m'a dans le viseur depuis le début de l'année.
- T'as philo ?
- Tout à l'heure. J'avais prévu de rédiger ledit commentaire de philo maintenant.
- Y'a une prof qui te supporte ?
- La prof d'espagnol.
- Tu fais allemand.
- Oui, justement.
L'enfer, c'est les chiffres.
Ça régit toute ta vie.
Ça commence par un nombre inoffensif sur mon carnet de santé : 45.
Maigrir est devenu la réponse à tout, la solution à tout. Pour capter les regards ou, au contraire, pour disparaître.
Si je ne suis pas en sécurité dans ma propre peau, alors je ne suis plus en sécurité nulle part.
On a envahi ma maison, puis ma chambre et mon corps.
Où vais-je me reposer ?
Je vomis l'horreur de ce qui nous arrive. Je vomis l'impuissance de nos corps à peine formés. Je vomis nos plaies maquillées que personne ne devine. Je vomis les bras douillets d'un monde sûr qui nous abandonne aujourd'hui. (…) Je vomis mes os saillants qui m'ont promis des chimères et qui ne me protègent de rien. Je vomis l'humiliation d'être un chien, sur le carrelage d'une salle de bains à cinq heures du matin.
Mais, par-dessus tout, je vomis le mal d'Éden.
Le corps meurtri d'Éden.
Je vomis la démission d'un ciel qui se tait pendant que nous saignons.
A quoi je vais servir maintenant ?
Qu'est-ce que je vais faire avec ce corps-là ?
Qu'est-ce que tu penses de moi ?
Je pense à un marbre, Éden.
À un cristal de diamant.
C'est une sensation de puissance qui me vient quand je te regarde et quand je parle de toi.
Tu ne sais pas encore à quel point tu es fort.
Tu es l'écume frappant la roche, et la mer n'abandonne jamais.
- Le corps, c'est tellement important. C'est pas un bout de viande, c'est ta maison. Et si on entre sans ton accord et qu'on l'abîme, qu'est-ce que tu deviens ?
Je serre la neige entre mes doigts congelés. Je serre la neige pour les mômes qui ramassaient des marrons et faisaient des batailles avec. Je serre la neige pour les ciseaux que tu m'as jetés au visage un après-midi d'août et la cicatrice qui mord le bras sur j'ai dressé pour me protéger. Je serre la neige pour ton regard terrorisé devant ma superbe mort de héros lorsqu'on jouait à Robin des bois. Je serre le neige pour les larmes insensées qui t'ont secoué ensuite. Je serre la neige pour le gosse si naïf qui m'a demandé si une poule d'eau était une poule remplie d'eau. Je serre la neige pour l'enfance qui finit ici.
Tu es l'écume frappant la roche, et la mer n'abandonne jamais.
- Le corps, c'est tellement important. C'est pas un bout de viande, c'est ta maison. Et si on entre sans ton accord et qu'on l'abîme, qu'est-ce que tu deviens ?
Tu es nu au milieu du monde, écorché vif, et personne n'est là pour t'abriter. Voilà ce que tu deviens.