Elle s'était tue, tout à coup absorbée, comme égarée dans un rêve. Sur ce visage qu'il ne lui avait jamais connu, il vit glisser des émotions insoupçonnées comme des poissons à fleur d'eau, sitôt entrevus, sitôt disparus, des pensées fugaces qu'il aurait voulu retenir. Toute une profondeur de vie courait sous ce visage d'ordinaire éteint, et tout le feuilleté d'une conscience dont il ne soupçonnait rien l'instant d'avant s'ouvrait à lui, ravissant son imagination. Quand elle leva la tête, il rougit.
On fait tous semblant, plus ou moins, on s'accroche. On s'accroche le plus longtemps possible à l'idée que les choses pourraient être ce qu'il faudrait qu'elles soient, ce qu'on voulait qu'elles soient quand on y rêvait. Alors on se contente qu'elles en aient l'air. Ca suffit au début, ça suffit longtemps, toute une vie parfois. C'est tellement dur de renoncer.
Sans que tu saches comment, une histoire a poussé autour de toi. On te regarde comme ça et, peu à peu, si tu n'es pas assez fort, tu seras réellement ce raté, ce héros, ce sale caractère, ce malhonnête, ce personnage qu'ils auront inventé. Quand tu te regarderas dans la glace, tu ne verras plus que ça.
Ces choses-là, c'est comme les carpes, on croit que c'est fini, qu'on n'en parlera plus, et ça revient toujours. On les oublie. Puis voilà que quelqu'un en attrape une.
Les gens, ce n' est pas la vérité qui les intéresse, c'est que ça fasse des histoires, et de sales histoires.