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Critique de Dominique-Joelle


" ORAZIO " Christophe MATHO (Éd. Ramsay)

Bonjour à toutes et à tous, toujours le confinement, il faut se dire que l'on va bien finir par arriver à voir la disparition de ce satané virus. En attendant, il faut s'occuper et la lecture est un bien distrayant refuge. C'est à un étonnant et intéressant voyage dans le temps et dans l'espace que je vous convie aujourd'hui. Un joli roman sympa, pas vraiment facile à résumer tant il y a d'entrées.

" Orazio " ou, comment un jeune éditeur issu de l'immigration de quatrième génération, toujours en quête de ses racines nous entraîne, au travers d'un jeu subtil de sauts entre les époques (1874, années 30, 2012 ) et deux pays, plus exactement deux contrées.
C'est par le biais d'une exofiction riche et originale que Christophe Matho nous emmène à la suite de son bisaïeul dans un périple par mer, en train et à pied de la Toscane au Limousin. Comme en écho au monde des lettres dans lequel il vit, il nous gratifie d'une intrusion romanesque et inattendue dans l'univers d'une écrivaine célèbre qui a chanté la Vallée Noire, lui confiant le rôle de structurer le roman par une énigme qu'elle aurait laissée accompagnée d'un manuscrit histoire, de s'assurer qu'au siècle suivant elle ne serait pas oubliée. " ... une oeuvre [qui soit] publiée que dans une centaine d'années. "
C'est à ce jeu un peu périlleux que s'est attelé Christophe Matho, presque une gageure et tout est parfaitement réussi, rondement mené ! L'auteur partage avec nous nombre des connaissances qu'il a accumulées, tant sur l'histoire des deux pays, les légendes et traditions que sur l'univers littéraire de la dame de lettres. L'intrigue tient, tout est savamment orchestré, millimétré irais-je jusqu'à dire. Les différentes parties s'assemblent, s'articulent pour former un tout cohérent. La mécanique est parfaitement huilée, aucun point et ils sont nombreux, ne reste bancal. Les charnières résistent ; on passe d'une époque à une autre sans heurt, et pour nous aider l'auteur, soucieux de son lecteur fait appel à des polices de caractères différentes, des chiffres arabes et romains pour distinguer chapitres et sections. C'est malin !
Ainsi sautons-nous de la Toscane à la Creuse, des horizons proches de Florence aux pittoresques paysages et verdures de la Vallée Noire, en nous offrant le luxe des charmants petits ports corses. Tout a été étudié. Nous sentons que l'auteur a pris plaisir à écrire ce roman, qu'il s'est amusé même, c'est sans doute pour cette raison que le livre est aussi léger, alerte même et cela joue étonnamment pour la tension narrative. La maîtrise parfaite de son sujet donne à l'auteur une agréable liberté qui rejaillit sur le lecteur et fait d'" Orazio " un roman solide. L'auteur nous fait don de somptueuses et fraîches descriptions de la belle et sauvage campagne creusoise. C'est parce qu'il aime tout ce dont il parle que le roman est aussi réussi, son enthousiasme coule entre les pages et nous entraîne. Introduire du fantastique en mêlant un bon brin de terroir, des histoires de meneurs (ou plutôt meneu) de loups, l'histoire des années de l'entre-deux-guerres avec la montée du fascisme en Italie et l'accueil des populations immigrantes pour la France. Revenir sans fausse note au XIXe et au calme de Gargilesse, de Nohant et des petits villages de Creuse, ce n'était pas pari gagné et cela sans compter sur la dose d'humour qui émaille ça et là et à dose régulière les pages.
Le ton est alerte, l'écriture tantôt légère, tantôt plus grave, parfois précieuse, adaptée aux époques, aux paysages, aux situations. Une écriture tout en fluidité en somme ! Une très bonne dose de culture et le tour est joué. Voici un roman qui à coup sûr vous distraira.
Canevas, et j'aurais tendance presque à dire synopsis, tant l'oeuvre est visuelle :
13 septembre 2012, un couple, lui est éditeur, elle l'accompagne, ils sont mariés. Ils sont convoqués chez un notaire pour une étrange histoire de donation laissée par une célèbre écrivaine du siècle passé. Elle résidait le plus souvent possible dans cette belle région qu'est la Vallée Noire, située aux confins du Berry et de l'ancienne Marche. Une certaine Amantine ! (mais est-ce vraiment un pseudonyme ? ) Elle craignait que sa notoriété ne traverse pas le siècle, elle va donc laisser un manuscrit, qui apprend-on en épilogue aura disparu ! (Eh oui, plutôt futé l'auteur !)... Manuscrit accompagné d'une énigme en plusieurs questions sur son oeuvre.
Nous sommes dans une exofiction, ne l'oublions pas, Orazio (bisaïeul de l'auteur) est fils d'une des grandes familles de Toscane. Malgré la montée inexorable du fascisme, couvé par sa mère, il continue à mener une existence dorée. Il tient une boutique de photographe à Lucca, à la différence de son frère aîné Umberto, il ne prend aucunement part aux problèmes de la famille qui comme les autres familles bourgeoises et aisées, avec la montée du fascisme se dirigent vers le déclassement.
Orazio est amoureux de la belle obstinée Giuseppina et s'éloigne de plus en plus de sa famille, ce d'autant plus qu'Umberto semble avoir fait entrer le fascisme dans la maison. Orazio trouve conseil et réconfort auprès du docteur Paoli, un socialiste et père de Giuseppina. L'homme ne verrait pas d'un mauvais oeil une union entre les jeunes gens. D'autant plus qu'à la suite d'un temps d'exil en France sa fille s'était entiché d'un militant communiste assassiné par les miliciens de Mussolini. En mourant le militant a laissé Giuseppina célibataire et mère d'un enfant de deux ans.
Hélas, Giuseppina considère Orazio comme un très bon ami d'enfance, rien de plus. Lui est toujours profondément amoureux et espère. Il est sur le point d'être intronisé franc-maçon, mais au cours de la cérémonie, une descente des fascistes ! La maison du docteur est envahie et au cours d'une courte et violente échauffourée Giuseppina perd la vie. Fou de douleur et de rage Orazio tue un milicien. Il doit fuir ! le Docteur Paoli lui en intime l'ordre. Fuir et gagner la France par tous les moyens s'il veut avoir une chance de survivre. Orazio s'enfuit donc et grâce à la solidarité familiale, cousins proches et lointains, il réussit à passer la frontière. Il a en tête de rejoindre sa soeur partie faire fortune en Amérique et qui a réussi. Mais pour cela, il faut trouver de quoi vivre et amasser suffisamment d'argent pour payer le voyage. Il s'arrêtera en Creuse, plus exactement à Eguzon dans l'Indre où la construction du barrage vient de se terminer. Il fuit ses compatriotes, la crainte de la milice mussolinienne sans doute toujours à sa recherche ! Grâce à la chance, à sa débrouillardise, à l'aide de compagnons d'exil espagnols et autres hommes de bonne volonté il trouvera de quoi s'installer au moins un temps. Il a toujours en tête de gagner Détroit, mais la vie décide. de photographe il se transforme en géomètre. Il rencontre la belle Armance, une fille de caractère comme il les aime et qui lui fait étrangement pensé à Giuseppina. La charmante Creusoise est cultivée semble-t-il, débrouillarde, jolie et célibataire et semble éprouver un véritable coup de foudre pour le sémillant Toscan. Mais que peut-elle bien faire sur ce chantier à occuper cet emploi de cantinière ? Elle a bien sûr un secret qu'elle lui révèle bientôt. Orazio n'en croit pas ses oreilles. Ne serait-elle pas le double de Giuseppina ? Ensemble ils vont découvrir au cours d'un rangement du camp, des caisses contenant un manuscrit et des lettres. Des lettres contenant une énigme ayant trait à l'oeuvre d'une femme de lettres du siècle précédent qui refusait que sa postérité littéraire n'atteigne pas le XXe siècle. L'énigme se présente sous la forme de questions ayant trait à l'oeuvre de la romancière et est dotée d'un petit pécule. Nous l'avons vu Armance est cultivée... Et connait du moins partiellement l'oeuvre de cette grande dame réputée pour sa grande liberté d'esprit et de vie, son intérêt pour les traditions et la culture locale, son goût pour les légendes aussi.
Et justement, les légendes s'en mêlent un peu dans notre roman. Armance n'avait-elle pas parmi ses ancêtres un " meneu " de loups ? Et puis tout le monde, un peu, quand même, là-bas a plus ou moins entendu parler de... et si les loups et leur meneu réussissaient à chasser les fascistes venus pourchasser Orazio ? (C'est symbolique bien sûr !) Mais... et si les amoureux réussissaient à reconstituer l'énigme de la grande dame de la Vallée Noire et si tout finissait bien !
Cela donne un charmant Good Feel Book, mais beaucoup plus que ça encore. C'est mâtiné de bon terroir et de fantastique, les légendes toscanes et creusoises comme les paysages et les femmes se rejoignent. C'est bourré de culture, alerte et frais. La tension narrative est bien au rendez-vous avec un emboitement des parties étonnant de facilité. Pas le temps de souffler, pourtant on prend le temps d'une partie de pêche aux écrevisses, à la truite aussi dans les eaux cristallines, pures et trépidantes de la Creuse ; on séjourne aux côtés d'une grande dame libre, autoritaire et malicieuse, dont la renommée a réussi à traverser les siècles.
Un très bon moment de détente où l'on apprend des tonnes de petites et grandes choses, car le roman en fourmille. Un livre comme je les aime.
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