Une promenade à cheval à travers les campagnes embaumées et sous un ciel d’une pureté absolue comptait parmi les événements les plus susceptibles de l’étourdir. Quelquefois, ces promenades à che- val occasionnaient chez elle de courts instants de folie. Elle regretta juste de devoir entreprendre cette balade sous le soleil de plomb d’un après-midi d’août, dans la chaleur toscane. Le périple aurait été bien plus agréable le lendemain au point du jour. Mais il fallait prendre le bateau.
Le ruban de la rivière scintillait à quelques mètres d’elle. Au- dessus, les contreforts de la montagne étaient couverts d’une parure forestière composée d’oliviers et de chênes méditerranéens. Sur le bas, des terrasses réalisées par les hommes accueillaient quelques vignes. Les lignes de ce paysage étaient simples et belles. Elle aperçut une embarcation qui filait sur l’eau, légère comme une libellule. Elle fut vivement impressionnée par ce spectacle gracieux et élégant. Elle ar- rêta son cheval un moment sur la berge et regarda une petite anse où le courant était moins rapide. On apercevait le fond et quelques che- vesnes et même un barbillon, parmi les remous que faisait la rivière.
Elle approchait un village blanc comme un galet, baigné par la rivière qui semblait verte à son approche. Devant le bourg s’éten- daient des champs de blé, des châtaigniers des oliviers et des vignes. L’église avait un clocher de briques rouges dont la cloche s’agitait derrière une cage de bois. Des femmes brûlées par le soleil tressaient de la paille sur le pas de leur porte, tandis qu’à côté d’elles des en- fants se roulent par terre nus, comme dans un tableau de François Boucher.
En s’approchant de l’église, elle aperçut un balai en travers de la porte de la maison de Dieu. Elle se rappela une superstition de l’Italie du Nord que lui avait conté son ami Emilio Gubernati. Pour découvrir une sorcière, les paysans mettaient un balai en travers de la porte de l’église. Si la femme était soupçonnée à tort, elle jetait de côté le balai. Mais si elle était une vraie sorcière, on le savait tout de suite, car elle se mettait alors à cheval sur le balai. Elle se dit qu’en Toscane comme en Berry, le balai incarnait le cheval des sorcières.
À la sortie du village, de jeunes filles étonnées de voir une femme seule se promener à cheval en montant comme un homme cou- rurent vers elle. De robustes fillettes l’entourèrent, comme un essaim d’abeilles, constituant une sorte d’escorte. Des femmes causaient en groupe sur le pas des portes et la regardaient passer avec un sourire aux lèvres.
On ne voit plus le mal, cela ne veut pas dire qu’il n’est pas là, prêt à surgir des eaux. En tout cas, toi, tu dois retenir qu’un homme a besoin d’une femme pour réussir ses projets.
Les secrets de meneurs de loups ne sont que connus que des meneurs de loups et ils ne les transmettent qu’entre maître est apprenti. Pourtant, un meneur m’a révélé un jour un secret.
« Mère, ce manuscrit est achevé depuis plus de huit ans. Pourquoi diable ne l'avez-vous toujours pas transmis à un éditeur ? Je suis désolé que vous l'appreniez de la sorte, mais mon idée était de vous convaincre d'aider ce jeune éditeur. […]
- Certes, je lui ai fait cette promesse tant il m'a aidé à illustrer cette œuvre par des mœurs paysannes. Mais je ne lui ai pas dit quand. […]
- Mais quelle est votre idée ? Un œuvre à titre posthume ? Faudra-t-il attendre encore dix ou vingt ans avant que vos lecteurs découvrent l'histoire du Meuneux de loups ?
- Tu me prêtes une vie fort longue mon fils… […] »