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Critique de berni_29


Dans les circonstances actuelles j'avais envie de vous parler de Vacances de Noël. Oui, je sais, rien de bien original en cette période, sauf qu'il s'agit du titre d'un merveilleux roman qui m'a séduit, d'un certain Somerset Maugham. Je ne sais pas pourquoi Alain Souchon que j'adore l'avait catalogué dans une de ses chansons, d'auteur de nouvelles pour dames...
Lorsque j'avais vingt-cinq ans, j'avais une amie dont l'un de ses écrivains préférés était justement Somerset Maugham. Elle n'avait rien d'une dame imaginée par un de mes chanteurs préférés.
J'ai eu la chance de découvrir une très vieille édition de ce roman dans une brocante, datant de 1946, c'est-à-dire précisément l'année où il fut traduit en français, par une certaine Mme E.-R. Blanchet. J'ai eu l'impression de tenir une oeuvre d'art fragile entre les mains, tant le papier était usé et risquait à certaines pages de se casser comme du verre. Outre ce privilège, cela m'a aussi épargné la version de poche plus actuelle qui offre, - paraît-il autant sur sa couverture que sur sa quatrième de couverture, l'image rose bonbon d'une bluette littéraire. Or il n'en est rien.
L'écriture est ciselée à merveille. On est vite happé par le récit dont on pourrait imaginer qu'il sera banal, voyez un peu... Nous sommes dans les années vingt, un jeune Anglais d'une famille aisée, Charley Mason traverse la Manche et vient à Paris pour les vacances de Noël dans l'idée de se divertir durant une semaine. Il rejoint un ami d'enfance, d'origine plus modeste, Simon, journaliste aux idées révolutionnaires.
Se divertir dans Paris, c'est pour Charley visiter les maisons de charme parisiennes dont son ami Simon lui a tant vanté les vertus...
Dès le premier soir, justement à la faveur de cet ami, voilà Charley faisant connaissance dans une maison de Montparnasse avec une princesse russe du prénom d'Olga, l'accueillant en tenue légère...
Jusqu'ici on pourrait reconnaître que l'actuelle version de poche par sa couverture tient toutes ses promesses. Eh bien, détrompez-vous ! C'est justement à ce moment que le roman prend tout son charme, tout son piment, tout son attrait, toute sa saveur, tout son mystère aussi. Et peut-être vous avouerai-je déjà en chemin, toute son émotion.
Car la fameuse Olga n'a de princesse que le nom, elle est d'une origine extrêmement modeste, aujourd'hui elle vit dans la précarité et autant l'appeler par son vrai prénom, Lydia.
La nuit torride promise se transforme en confidences touchantes, la légèreté de la princesse Olga laisse place à la tristesse de Lydia. Celle-ci lui raconte son histoire, les événements qui l'ont amenée là précisément à cette situation de devenir une prostituée et Charley se rend compte alors que son ami Simon ne lui a pas tout dit...
J'ai aimé cet endroit exaltant où le récit bascule d'un versant à l'autre. Toute l'habileté de l'auteur m'a entraîné dans le dédale d'une intrigue construite sur des récits enchâssés et dès lors je n'ai pas lâché le livre. Je voulais savoir comme Charley ce qui se cachait derrière la mélancolie de Lydia, ses larmes la nuit, sa gaieté soudaine le jour aussi comme pour effacer d'un geste brusque le malheur qui l'étreignait et peut-être sa douleur aussi.
L'histoire de Lydia prend corps, celle d'une femme mariée à un époux aujourd'hui au bagne. Simon le savait puisque, chroniqueur dans un journal, il avait suivi le procès...
Les jours et les nuits passent durant les vacances de Noël de Charley à Paris. Ce ne sont peut-être pas les vacances dont il rêvait, cependant je sais qu'il n'oubliera jamais ces jours, qu'il en sera marqué à jamais, bousculé...
Lydia porte ce secret, ce drame, elle le porte comme une croix, à tel point qu'elle voudrait porter la faute de son mari, porter sa douleur, comme pour l'expier à son tour, à jamais. Il y a brusquement quelque chose de grand qui s'ouvre dans les pages intimes de ce roman.
Charley découvre, à chaque page qui se déplie dans le récit, un peu plus un peu mieux cette femme énigmatique qui lui échappe sans cesse, de jour comme de nuit dans la chambre d'hôtel qu'ils partagent. Visiter un musée en sa compagnie, le Louvre en particulier, c'est découvrir une autre manière de regarder un tableau ; une nature morte de Chardin par exemple, a priori banale, devient la description d'un désespoir emplie de beauté. Une mélodie ordinaire posée sur le clavier d'un piano prend brusquement sous les doigts de cette femme la puissance d'une résurgence souterraine qui dévaste les âmes.
Charley a vingt-trois ans et s'aperçoit qu'il ne sait encore rien de la vie, il se sent presque encore un enfant auprès de Lydia, lui qui rêvait d'être son amant lors de la première nuit de leur rencontre. Il ne sait rien de la vie, tandis que son ami Simon revient de temps en temps comme un écho, comme un balancier au gré du récit, revenant exposer son point de vue politique sur le monde, Simon amer, Simon révolté, Simon aigri et déçu par ce que peut proposer la démocratie à ses yeux...
Les trois personnages principaux de ce récit sont de véritables caisses de résonnances intérieures qui orchestrent la trame de l'histoire, tissent et donnent une épaisseur à la narration, sans compter le quatrième personnage absent durant ces vacances de Noël, l'époux encore au bagne, tellement présent dans l'histoire...
Ce texte est un véritable roman d'apprentissage.
De ce voyage intérieur, Charley n'en reviendra pas indemne. Il commencera à s'en rendre compte dans le Pullman qui le ramène vers le cocon familial et comme tout voyage qui permet d'en apprécier l'impact, c'est au contact de son univers familier retrouvé, ses proches, qu'il mesurera le séisme qui l'aura bousculé à jamais... C'est à cela qu'on peut mesurer le caractère romantique d'une oeuvre. Alors, bluette ?
J'ai repensé à cette amie lorsque j'avais vingt-cinq-ans. Aime-t-elle encore cet écrivain ?
Connaissant son âme, je sais pourquoi elle aimait Somerset Maugham.
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