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Critique de neutrinou


Comme il est dur d'avoir trop lu. Tout me semble une redite, tout est référence. Dans ce roman, par exemple, impossible de ne pas penser à Céline - avec cette phrase qui se cherche, qui chemine avant d'aboutir. le monologue intérieur heurté, hésitant. Pas tellement moins réussi que celui du Voyage. Combien d'éloges mériterait cette oeuvre ! Plus jeune, j'aurais adoré.

L'histoire de jeunes ruraux qui ont été appelés durant la guerre d'Algérie et qui sont restés marqués par ce qu'ils ont vécu. La construction est parfaite. Même la dysharmonie entre la première partie du roman (le premier tiers), où le propos du narrateur est dans un grand désordre, à la limite du touffu, et la suite du récit organisée de manière plus classique : changement justifié par la progression de l'histoire.

J'ai été particulièrement sensible à l'évocation des années soixante. Tableau impeccable de la vie rurale, de vie sociale d'un petit village, des moeurs de l'époque - tableau d'autant plus magistral que Mauvignier nous épargne l'énoncé des marques de l'époque, à quelques nécessaires exceptions près, comme des obligations matérielles - internet et bien d'autres choses n'existent pas encore. En fait-il trop ? Est-ce une caricature ? Je ne sais pas, il ne me semble pas.

Alors, doit-on critiquer la description des cruautés de la guerre ? Mauvignier n'en abuse pas - assez pour faire comprendre l'état d'esprit du troufion égaré dans les environs d'Oran. Et puis Jonathan Little, dont j'ai encensé le livre, a fait bien pire.

Bref, malgré le style que j'ai trouvé trop désarticulé au début (et donc parfois indigeste), je reconnaît énormément de qualités à ce roman. Sobriété, adéquation, construction, richesse de l'évocation historique - il n'y a rien de trop, le projet de l'auteur est parfaitement servi.

Alors pourquoi ne suis-je pas content ? Pourquoi ne pas voir en Mauvignier un genre d'Homère moderne ? Son livre se bornant à la narration d'une guerre telle que la vivent quelques anti-héros contemporains ? L'art de raconter ?

Non. Ce n'est pas encore cela.

Parce qu'il y a un message en filigrane. La guerre, c'est moche.

Un message un peu décevant. Ce n'est pas pour autant une thèse pacifiste. Ni un roman politique. Il ne dit pas qu'il y a des planqués, des profiteurs, des politiques irresponsables, des colonisateurs, des colons, une logique financière (oui, bien sûr, il y a la garde des citernes de pétrole, mais Mauvignier n'en fait pas tout un plat). Il dit : "la guerre, c'est moche, mais c'est comme ça".

Et il y a ce contenu insidieux. Cette humanité qui sourd, avec son odeur de vieilles chaussettes, la bière pression qu'on boit au bar en parlant avec la patronne qui essuie des verres, et qu'on connaît - on connaît la patronne, mais on a aussi lu Simenon. Ça me dérange. Oui, "ces gens-là" existent et ont le droit d'exister. Et alors ? Je vais en vouloir à Zola d'avoir raconté les cuites de Lantier ? Non, ce n'est pas ça encore que je reproche à ce livre. Sa description trop partielle de l'humanité - trop abstraite en fin de compte. Non.

Il y aurait même motif à un nouvel éloge : quand le narrateur revient sur son passé, on le sent "à la recherche du temps perdu". Le passage des années, l'abrasion sélective qui en résulte, les tricheries de la mémoire, Mauvignier les décrit avec finesse.

Difficile de cerner ce que je reproche à ce livre. Injustement, sans doute, car il remplit son contrat, et fort bien, il dit sobrement, fidèlement ce que l'auteur veut dire.

Mais oui ! Ça y est. J'ai trouvé. Ce que dit l'auteur ne m'intéresse pas. Il ne pose pas de question. Il dit : il y a eu une guerre. Atroce. Et l'homme se l'est infligée et il en a souffert des décennies après le retour des soldats au pays. Bravo... mais encore ?

Little a une thèse. Il pose la question de l'irresponsabilité de l'homme. Mauvignier se borne à déplorer. Déplorer en beauté, avec beaucoup d'art et de maîtrise. Mauvignier est un grand écrivain. Mais son roman prend fin à la dernière page. Il n'y a pas de point d'orgue. Ni de vision. Il restera une impression. Mais on ne pense plus quand on a fermé le livre.
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