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sur 687 notes
J'ai déjà lu quelques romans qui évoquent « La guerre d'Algérie », tel que l'excellent « L'art de perdre » d'Alice Zeniter, mais sans véritablement m'intéresser à ce sujet plus étroitement lié à l'histoire de la France qu'à celle de la Belgique. Mais bon, les critiques étant dithyrambiques et le père de Laurent Mauvignier étant lui-même un ancien d'Algérie s'étant suicidé, je me suis finalement attaqué à ce roman qui raconte certes cette guerre, mais à hauteur d'hommes.

D'ailleurs, Laurent Mauvinier n'en parle pas vraiment de cette page sombre de l'histoire de la France car personne ne veut en parler…même pas ses personnages. Pourtant, Bernard et d'autres jeunes ont été appelés durant la guerre d'Algérie, y ont participé en tant que bourreaux, tueurs, violeurs, victimes, voire juste témoins impuissants face à l'imbécilité des hommes. Mais bon, ils sont vieux maintenant et même si l'Algérie hante encore leurs cauchemars, nourrit encore leurs regrets, s'invite parfois même au coeur de non-dits que l'on passe au plus vite sous silence, ils ressassent leurs pensées… Jusqu'au jour où…

Bernard a d'ailleurs quitté sa femme et ses enfants, tourné le dos à sa famille, ruminant son passé dans la solitude et noyant ses regrets dans l'alcool. Pourtant, lors de l'anniversaire de sa soeur Solange, la seule qui le comprend encore un peu, un incident met subitement le feu aux poudres. Les vieilles rancoeurs familiales font irruption et le passé ressurgit…

Au fil des pages, Laurent Mauvignier délivre les pensées de ces hommes abimés par les ravages de la guerre d'Algérie. D'un style hachuré, il partage des phrases inachevés, sans ponctuation distinctive, des mots qui se bousculent et tentent de refaire surface, un silence qui ponctue les non-dits d'une honte révélatrice. le lecteur, lui, colle son oreille aux pages du livre, filtre les pensées et les mots qui remontent à la surface, se fait progressivement une idée du drame vécu, mais gardé sous silence, entrevoit progressivement tous les traumas enfouis au fond des mémoires. Au-delà du silence, les voix étouffées au fond de gorges nouées deviennent subitement assourdissantes, la porte de la guerre d'Algérie vient de s'entrouvrir…
Lien : https://brusselsboy.wordpres..
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Nouveau tour de magie pour Mauvignier, qui fait entendre la voix de la « grande muette ». Elle ne peut parler (malgré ses récents écarts) mais n'en pense pas moins. Or les corps et les esprits trouvent toujours le moyen d'exprimer ce qu'ils ont vu, fait, vécu ou ressenti par les cauchemars, l'agressivité latente, la tristesse, les pensées ressassées… Et si un auteur est capable de nous faire lire dans ces pensées, c'est bien Mauvignier. Il nous livre ici celles Des hommes revenus en miettes de ces grandes vacances qu'on leur a imposées au « club bled ».


C'est lors de l'anniversaire de Solange qu'une toute petite étincelle met le feu aux poudres : au moment où son frère Bernard lui offre son cadeau, les critiques fusent, Bernard s'énerve et dépasse les bornes, devient agressif, commet l'impardonnable envers la seule victime que de vieilles haines et des réflexes passés désignent du fond de ses tripes devenues incontrôlables : l'Arabe. le passé ressurgit : aux vieilles querelles de famille s'ajoutent les réminiscences de la grande Histoire, d'une guerre intriquée dans l'histoire personnelle et intime de chacun.


L'Algérie a ajouté aux non-dits familiaux les récits interdits et impossibles des « événements ». Des horreurs indicibles : napalm, gégène, raids dans les villages, missions ratées, compagnons décimés… Nous avons tous entendu les rescapés se désoler d'avoir dû faire « là-bas » ce que l'on reproche tant aux Allemands d'avoir fait chez nous en 45. Entendu les cauchemars, vu les ombres et les pleurs dans les yeux de ces générations maudites, qui ont subi deux guerres dont l'une en victime, et l'autre en bourreau, au point de ressentir comme personne le mal qu'ils ont été contraints d'infliger. Les regrets pèsent, les actes demeurent, les souvenirs les dévorent mais rien ne doit filtrer, rien n'est raconté. Jusqu'au jour où…


Dans ce roman, l'auteur « délivre » littéralement les pensées de l'un Des hommes revenus abimés de la guerre d'Algérie, témoignage d'un inévitable dérapage programmé. Une fois de plus, l'écriture de Mauvignier m'a happée. Sa capacité à dépecer le moment présent, le décrypter à l'aune des pensées de son narrateur ; Ses phrases tantôt longues, tantôt déstructurées comme des dialogues interrompus par d'autres pensées, d'autres moments. Les mots qui se bousculent puis ne sortent plus, ceux attendus mais jamais dits, ceux trop lourds que l'on étouffe et qui nous le rendent, ayant toute la place pour grossir dans ce silence assourdissant, jusqu'à ne plus pouvoir être contenus et devoir s'exprimer, par tout moyen.


Un bémol : J'aurais aimé connaître les tenants et aboutissants de tous les sujets ouverts par l'altercation. Pour certains d'entre eux, il me restera des silences et des non-dits. Juste retour des choses. Toute l'histoire tient en la justesse de ce que Mauvignier dépeint, la manière dont les personnages apparaissent sous le dessin des mots, des phrases parfois à peine esquissées puis empêchées ou abandonnées. Ce qui n'arrivera pas à cette lecture, très prenante. Merci à Paroles pour la découverte !

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Une écriture hâtive, pressée, qui hésite, très orale, qui empêche toute mise à distance.
Même si on retrouve l'universalité du propos sur la guerre, quelle qu'elle soit, de ceux que l'on y envoie se faire massacrer et massacrer les autres, l'impossibilité de raconter alors que les souvenirs des atrocités vécues, commises ou subies hantent toute l'existence . On retrouve cela dans toute la littérature de guerre ( la meilleure analyse du refus d'écoute de l'entourage se trouvant, pour moi, dans le fabuleux Voyage au bout de la nuit de Céline), et on sent que Mauvignier a dû être très marqué par le vécu de son père. Et son suicide..

Une petite particularité pour cette guerre d'Algérie, dont on a longtemps très peu parlé , je me suis souvent demandé pourquoi, (à part bien sûr le fait que la France met toujours des siècles à affronter son passé), ceci:
"On avait renoncé à croire que l'Algérie, c'était la guerre, parce que la guerre se fait avec des gars en face alors que nous, et puis parce la guerre c'est fait pour être gagné alors que là, et puis parce que la guerre c'est toujours des salauds qui la font à des types bien et que les types bien là il n'y en avait pas, c'étaient des hommes, c'est tout..."
Et des hommes auxquels ils peuvent s'identifier, ils sont -encore- français et défendent leurs terres, que feraient-ils si l'on leur faisait la même chose?

"La même incompréhension du pourquoi , au début. Après, on venge les copains et voilà tout."

Mais ce qui m'a le plus intéressée dans ce roman , ce n'est pas tant la guerre d'Algérie que l'histoire familiale. Avec laquelle commence et se termine ce roman très bien construit. Et que l'on retrouve même dans l'épisode principal de la vie des deux cousins. Qui domine le tout finalement . C'est encore une querelle de famille qui a sauvé la vie des deux cousins en Algérie. Et a sans doute provoqué la mort des autres . Toujours la même d'ailleurs, la fameuse scène de la mort de la soeur.

C'est un livre que j'ai lu rapidement, portée par le rythme et le style et qui laisse beaucoup de questions en suspens, sur lesquelles il faut revenir pour comprendre, tout est dit, mais c'est très dense.
Ce n'est finalement que la violence de Bernard qui fait remonter les souvenirs . Et chercher à comprendre qui il est vraiment.
Mais..

"Peut-être que cela n'a aucune importance , tout ça, cette histoire, qu'on ne sait pas ce que c'est qu'une histoire tant qu'on a pas soulevé celles qui sont dessous et qui sont les seules à compter, comme les fantômes, nos fantômes qui s'accumulent et forment les pierres d'une drôle de maison, dans laquelle on s'enferme tout seul, chacun sa maison, et quelles fenêtres, combien de fenêtres? Et moi, à ce moment là, j'ai pensé qu'il faudrait bouger le moins possible tout le temps de sa vie pour ne pas se fabriquer du passé, comme on fait, tous les jours; et ce passé qui fabrique des pierres, et les pierres, des murs. Et nous on est là maintenant à se regarder vieillir et ne pas comprendre pourquoi Bernard il est là-bas dans cette baraque, avec ses chiens si vieux, et sa mémoire si vieille et sa haine si vieille aussi que tous les mots qu'on pourrait dire ne peuvent pas grand-chose."

C'est très noir, et très beau. Pas tout à fait désespéré, puisqu'il y a une lueur de lucidité , ou du moins de réflexion, dans cette famille.
Trop tard, bien sûr, mais c'est toujours trop tard. C'est d'ailleurs la dernière phrase du livre.
"Je voudrais savoir si l'on peut commencer à vivre quand on sait que c'est trop tard. "

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Lecture bouleversante...
C'est un voyage au bout de la nuit qu'accomplissent ces hommes revenus de la guerre d'Algérie. Une guerre qui ne ressemble en rien à celles qu'ont connues leurs pères ou leurs grands-pères. Une guerre larvée où l'horreur et la violence ont été là aussi très présentes et dont eux, ces jeunes gens devenus vieux, ne peuvent pas parler. Une vie à se taire, essayant tant bien que mal d'enfouir ces visions imprimées au fond de leurs pupilles. Une vie qu'ils auraient voulu autre, une jeunesse qu'ils auraient voulu pouvoir changer, rendre plus légère. Retrouver l'insouciance de leurs vingt ans... Mais rien, aucun retour en arrière n'est possible et il faut continuer et porter le poids de ses douloureux souvenirs.

Quelle puissance dans l'écriture, quelle douleur transmise par des mots simples, des phrases inachevées, des paragraphes chamboulés ! Des hommes, ni bons ni mauvais, qui préfèrent se taire pour cacher la vérité. Coupables ? Innocents ? Mais c'est quoi être un homme ? Comment ça se comporte un homme ?
Un sacré roman qui n'explique rien, qui ne prend pas partie mais qui dit la douleur des souvenirs, la peur de la guerre et le regret de la jeunesse perdue et non vécue.

« Ils ont été appelés en Algérie au moment des « événements «  en 1960. Deux ans plus tard, Bernard, Rabut, Février et d'autres sont rentrés en France. Ils se sont tus, ils ont vécu leurs vies.
Mais parfois il suffit de presque rien, d'une journée d'anniversaire, en hiver, d'un cadeau qui tient dans la poche, pour que, quarante ans après, le passé fasse irruption dans la vie de ceux qui ont cru pouvoir le nier. »
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Tout ça, c'est la faute à Bernard. Qu'est-ce qui lui a pris, bon sang !, de gâcher la fête d'anniversaire de sa soeur, et d'aller faire l'andouille chez l'autre, là-bas ? L'Algérie ?! Quoi, l'Algérie ? Qu'est-ce qu'il raconte, Rabut, le cousin qui va perdre le sommeil à ressasser toute la nuit les "événements d'Algérie", tels que Bernard et lui les ont vécus, alors qu'ils n'étaient que de jeunes paysans mal dégrossis qui se sont brutalement retrouvés sous le soleil aveuglant d'Oran ?
Laurent Mauvignier raconte de façon magistrale la Guerre d'Algérie et ses ravages, de l'intérieur de ces pioupious fracassés qui ne savaient pas à quoi s'attendre du haut de leurs 20 ans, qui se demandaient pourquoi "les gens ici on leur fait la guerre et on dit la paix", et qui finissaient par comprendre que "la guerre c'est toujours les salauds qui la font à des types bien et que les types bien là il n'y en avait pas, c'était des hommes, c'est tout." Et l'auteur tisse son récit autour du silence assourdissant, épais comme le doute et la peur, qui les enveloppe, silence des émotions et des interrogations, silence des témoins et des coupables, silence de la Grande Muette, silence de l'indifférence lors du retour au pays.
D'ailleurs, même les dialogues sont feutrés, sans ponctuation distinctive, comme des voix étouffées au fond de gorges nouées depuis toutes ces années. Car outre ce qu'il relate, c'est la façon dont Mauvignier raconte qui m'a mise à genoux : quelle virtuosité et quelle maîtrise dans le style ! Peu importe si l'on peine momentanément à savoir dans quels souvenirs on est plongé, on est emporté par leur flux vif et continu ; il y a tant à dire, chez ces hommes que personne ne veut écouter.
Sans rien justifier ni excuser, l'auteur rend une forme d'hommage à cette génération de conscrits sacrifiés, qui n'avaient rien demandé et se sont retrouvés embarqués pendant 28 mois ( ! ) dans une guerre qui ne disait pas son nom, en un territoire français inconnu d'eux (qui n'avaient pratiquement jamais quitté leur village boueux de métropole), et qui sont revenus défaits -et surtout brisés.
C'est donc un roman "énorme" par ce morceau d'Histoire qu'il relate, par la densité et la puissance des émotions qu'il retranscrit, et par la prouesse de son écriture. Une lecture très forte, dont je ne suis pas sortie indemne. Et un auteur auquel je vais m'intéresser d'un peu plus près.
Amateurs d'Histoire et frères humains qui après eux vivez, faites-vous plaisir : lisez ce roman qui vous éblouira !
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Lu à sa sortie en 2009, j'ai eu envie de relire ce roman après avoir vu le film de Lucas Belvaux.
Je ne suis pas une inconditionnelle de Laurent Mauvignier et pourtant j'ai apprécié cette histoire.

L'auteur a su lever avec sensibilité le voile qu'on a déposé sur la guerre d'Algérie. Son héros, c'est Bernard, dit Feu-de-Bois, soixante ans et l'amertume, la rancoeur comme refrain de sa vie. Il boit pour oublier, il se néglige, est asocial. Seule Solange sa soeur semble le comprendre. Pourtant, lorsqu'elle invite famille et amis à la fête qui célèbre son départ à la retraite, Bernard va « déconner » une fois de plus et bousiller la fête ;
Pourtant, Bernard a eu une vie normale avec un travail, une épouse et deux enfants. A présent, il rumine son passé dans la solitude.
Peu à peu va s'entrouvrir cette porte qui nous mène à l'Algérie de 1960, et cette guerre sale qu'on ne veut pas nommer et oublier. Les traumatismes de Bernard, les morts laissés là-bas le hantent au point qu'il exhume des photos d'enfants algériens plutôt que ses propres gosses. Que s'est-il donc passé en 1960 ?
L'auteur sait à merveille explorer les traumatismes du passé, faire resurgir ces souvenirs qu'on voudrait laisser enfouis au fond de sa mémoire. Il ne juge pas, non, simplement il raconte et dénonce la barbarie d'une guerre sans nom, les non-dits et l'oubli collectif d'une société qui refuse la vérité.
Beaucoup de retenue et d'émotion dans ce roman le style est exigeant pour un sujet qui ne l'est pas moins.
Un roman bouleversant.

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Appelés durant la guerre d'Algérie, deux cousins d'une petite ville de l'Est de la France, reviendront brisés.
Quarante années plus tard, au cours d'une fête d'anniversaire, Bernard, le paria va raconter ce qu'il n'a jamais pu dire.

Histoire familiale, histoire de France, loin du roman national qui a longtemps nommé pudiquement “évènement” une guerre terrible, “Des hommes” nous plonge dans la France figée de la deuxième moitié du XXème siècle.
Raconter une guerre et ses blessures à hauteur d'hommes, c'était le pari de Laurent Mauvinier dont le père, un ancien d'Algérie s'est suicidé.
Un livre dont la relecture vient à point nommé après la remise du rapport sur la guerre d'Algérie à Emmanuel Macron par Benjamin Stora.
Il faut rappeler au moment où sort son adaptation pas trés réussie sur grand écran par Lucas Belvaux à quel le livre de Mauvinier est vraiment bon, très littéraire mais aussi très documenté historiquement...
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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Alors, qu'il a été écrit des km de livres et de films sur les guerres de 14-18 et de 39-45, Il est intéressant de constater que l'omerta collective qui frappait la mémoire d'une guerre déguisée sous le nom d' »évènement », semble enfin se dissiper.
Peut-être parce que l'Algérie, « bon, ben c'est pas Verdun », sans doute parce que l'Ennemi n'y était pas clairement identifié, certainement parce que le terme héroïque était dévolu aux protagonistes de la Grande Guerre ou de la Résistance, les combattants d'Algérie se sont retranché derrière le silence.
Laurent Mauvignier enfreint enfin le tabou pour nous livrer ce livre magnifique et bouleversant, une histoire d'hommes broyés par l'Histoire, des hommes qui ont tué, violé et torturé ou au contraire, ont assisté impuissants à l'horreur. On les voit se débattre, essayer de survivre à l'abjection et au crime et l'auteur pose la question : que reste-t-il de l'homme, de l'humanité dans cette Algérie en guerre ?
Mauvignier pose la question du Mal, comme le fait Jérome Ferrari dans « Où j'ai laissé mon âme » : et il semble que ce n'est pas le Bien qui l'a emporté… Quant au silence qui a tenté d'étouffer les témoignages, il est assourdissant.
« Des Hommes », n'est pas seulement un roman sur la guerre d'Algérie, c'est un livre où parlent tous ceux qui ne trouveront jamais la paix. C'est un livre sur la guerre qui continue après la guerre, un livre sur le traumatisme, semblable à celui dont ont souffert, à en devenir fous, les rescapés du Chemin des Dames ou les vétérans du Vietnam.
Un livre bouleversant et nécessaire servi par une plume âpre et douloureuse !
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Dans un petit bourg de campagne, il y a Bernard, dit Feu-de-bois, alcoolique, qui vit pratiquement comme un clochard.
Il y a Solange, sa soeur.
Il y a Rabut, son cousin avec qui il a fait l'Algérie, mais ils ne se parlent pratiquement plus.
Et puis d''autres encore.
Le jour de l'anniversaire de Solange, Bernard pète un plomb et agresse la famille de Saïd Chefraoui.
Les phrases se bousculent, s'enchaînent, s'entraînent, nous portant dans une lecture fiévreuse difficile à interrompre.
On veut comprendre ce qui se passe entre tous ces gens.
C'est alors que Rabut se remémore tout ce qui s'est passé en Algérie, il y a quarante ans.
« Des hommes », ce sont tous ces hommes jeunes qu'on a envoyé à la guerre, face à d'autres hommes, des hommes jeunes eux aussi.
Et ces hommes, d'un côté comme de l'autre, ils sont devenus vieux, et depuis tout ce temps, ils vivent avec la guerre en eux sans pouvoir en parler à personne.
Enfant, à chaque repas, j'entendais mon grand-père nous parler de la guerre (il parlait, lui), et je trouvais ça pénible, sans comprendre à l'époque le traumatisme qu'ils endurent, ces hommes qu'on envoie à la guerre.
J'ai lu plusieurs livres de Laurent Mauvignier, les ai tous appréciés, mais celui-là sort particulièrement du lot.
Il a parfaitement réussi à saisir le ressenti ‘des hommes » qui sont passés par là.
C'est vraiment un livre fort et poignant.
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Les jeunes appelés du contingent, tenus de faire 28 mois de service militaire en Algérie, ne sont pas placés très haut dans la hiérarchie de l'héroïsme, lorsqu'ils reviennent au pays après l'indépendance.
"C'était pas Verdun, votre affaire." leur disent les vieux.
Jugement de citoyens dont la représentation nationale décide d'envoyer au casse-pipe des jeunes gens auxquels elle refuse le droit de vote...
Laurent Mauvigner raconte l'histoire de trois amis d'un même village, Bernard, son cousin Rabut qu'il surnomme le bachelier et Février...
Ils sont mobilisés, vivent leur "expérience algérienne" par la force des choses, sans comprendre les enjeux de l'indépendance, la politique réaliste de de Gaulle, le déni des officiers de l'armée française, la relation impossible entre pieds-noirs et Algériens, la position incompréhensible des Harkis.
Seul, Chatel, détesté de ses camarades, semble comprendre Parce que Chatel a dit que ce qu'on fait ici c'est dégueulasse et que les Harkis sont des traîtres aux Algériens."
Bernard lui, est ébloui par ce pays, il est amoureux de Mireille la fille d'un riche colon, peau bronzée, plage, crèmes glacées et sourires, perspectives de garage automobile dans la région parisienne. Il se lie d'amitié avec Fatiha, la petite fille du directeur du dépôt d'essence placée sous la garde de son régiment.
L'indépendance du pays brise ces rêves d'un autre temps.
Il y aura bien région parisienne mais comme OS et dans une banlieue où Mireille s'étiole....
Quand il revient au village Bernard n'est plus que l'ombre de lui-même. On le surnomme Feu-de-Bois, il vit dans une masure et fuit le contact de ses anciens amis et de sa famille.
Ce qui le rapproche encore de Février et de Rabut, c'est le refus de parler de ce qu'ils ont vécu en Algérie.
Quand dans le train qui l'emmène à Marseille on lui demande son avis sur la question algérienne, "Il dit qu'il n'en sait rien, mais ne rajoute pas qu'avant toute chose il s'en fout."
Mais il "sait que dès cet instant toute sa vie sera perforée de ce coup de sirène qui annonce le départ."
Lorsqu'il lui arrivait de penser en se promenant dans les rues d'Oran, il se disait "(...) qu'ici on est comme les Allemands chez nous, et qu'on ne vaut pas mieux."
À la caserne, il se demande "Si une cause peut être juste et les moyens injustes."
Il ne comprend rien à ce que lui dit Idir, un Harki, ""Vous prenez les Kabyles pour des Arabes. Pour vous tous les Algériens c'est les mêmes. Moi je suis Berbère, pas arabe."
Au village, quand il y revient après l'échec de sa vie parisienne, tout a changé. Un lotissement symbole de la réussite économique a été construit en périphérie, le pavillon individuel est devenu la norme. Les habitants ne veulent plus entendre parler de l'affaire algérienne. Chefraoui, un Algérien, collègue de Solange la soeur de Bernard s'est établi au village.
C'est à l'occasion de la fête d'anniversaire de cette dernière que le drame éclate.
Bernard y joue les trouble fête, sûr de son droit et certain de la mauvaise conscience de ses frères. Seule Solange avec laquelle il a communiqué par courrier durant son service en Algérie semble prête à le comprendre et à l'excuser. Rabut dans une moindre mesure.
"Monsieur le Maire, vous vous souvenez de la première fois où vous avez vu un Arabe ?" Lance-t-il notamment.
Le roman est divisée en quatre parties construites sur une chronologie inversée.
APRÈS-MIDI, nous raconte le retour de Bernard dans son village après une absence de plusieurs années et le malaise que sa présence suscite parmi les habitants.
SOIR, donne la parole aux habitants et aux autorités du village - bistrotiers, maire et gendarmes - qui exposent leur vision du comportement de Bernard et de comment ils l'expliquent.
NUIT, la partie la plus longue du roman démontre l'absurdité de l'envoi du contingent en Algérie, l'absence d'encadrement des appelés et la dichotomie entre l'armée de métier acquise à la cause de l'Algérie Française et le contingent. "Les soldats envahissent le village et courent encore criant, ils crient pour se donner du courage, pour faire peur, comme des râles, des souffles, alors les vieilles cachent les paniers qu'elles sont en train de tresser et regardent les jeunes hommes et s'étonnent de ce qu'avec des armes dans les mains on dirait que ce sont eux qui ont peur."
MATIN, pose la question et maintenant ? La vie continue semble répondre Rabut...
La force du roman de Mauvigner est de donner la parole à ceux dont on a ignoré l'existence pendant des années. À Ceux qui sans avoir pris part au processus qui a conduit la France à occuper l'Algérie, à y établir une population, à donner le faux espoir d'une société apaisée, en sont devenus malgré eux, et pour leur plus grand malheur, le bras armé.
Un roman très juste qui laisse un sentiment doux amer.

Lien : https://camalonga.wordpress...
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