Les jeunes appelés du contingent, tenus de faire 28 mois de service militaire en Algérie, ne sont pas placés très haut dans la hiérarchie de l'héroïsme, lorsqu'ils reviennent au pays après l'indépendance.
"C'était pas Verdun, votre affaire." leur disent les vieux.
Jugement de citoyens dont la représentation nationale décide d'envoyer au casse-pipe des jeunes gens auxquels elle refuse le droit de vote...
Laurent Mauvigner raconte l'histoire de trois amis d'un même village, Bernard, son cousin Rabut qu'il surnomme le bachelier et Février...
Ils sont mobilisés, vivent leur "expérience algérienne" par la force des choses, sans comprendre les enjeux de l'indépendance, la politique réaliste de de Gaulle, le déni des officiers de l'armée française, la relation impossible entre pieds-noirs et Algériens, la position incompréhensible des Harkis.
Seul, Chatel, détesté de ses camarades, semble comprendre Parce que Chatel a dit que ce qu'on fait ici c'est dégueulasse et que les Harkis sont des traîtres aux Algériens."
Bernard lui, est ébloui par ce pays, il est amoureux de Mireille la fille d'un riche colon, peau bronzée, plage, crèmes glacées et sourires, perspectives de garage automobile dans la région parisienne. Il se lie d'amitié avec Fatiha, la petite fille du directeur du dépôt d'essence placée sous la garde de son régiment.
L'indépendance du pays brise ces rêves d'un autre temps.
Il y aura bien région parisienne mais comme OS et dans une banlieue où Mireille s'étiole....
Quand il revient au village Bernard n'est plus que l'ombre de lui-même. On le surnomme Feu-de-Bois, il vit dans une masure et fuit le contact de ses anciens amis et de sa famille.
Ce qui le rapproche encore de Février et de Rabut, c'est le refus de parler de ce qu'ils ont vécu en Algérie.
Quand dans le train qui l'emmène à Marseille on lui demande son avis sur la question algérienne, "Il dit qu'il n'en sait rien, mais ne rajoute pas qu'avant toute chose il s'en fout."
Mais il "sait que dès cet instant toute sa vie sera perforée de ce coup de sirène qui annonce le départ."
Lorsqu'il lui arrivait de penser en se promenant dans les rues d'Oran, il se disait "(...) qu'ici on est comme les Allemands chez nous, et qu'on ne vaut pas mieux."
À la caserne, il se demande "Si une cause peut être juste et les moyens injustes."
Il ne comprend rien à ce que lui dit Idir, un Harki, ""Vous prenez les Kabyles pour des Arabes. Pour vous tous les Algériens c'est les mêmes. Moi je suis Berbère, pas arabe."
Au village, quand il y revient après l'échec de sa vie parisienne, tout a changé. Un lotissement symbole de la réussite économique a été construit en périphérie, le pavillon individuel est devenu la norme. Les habitants ne veulent plus entendre parler de l'affaire algérienne. Chefraoui, un Algérien, collègue de Solange la soeur de Bernard s'est établi au village.
C'est à l'occasion de la fête d'anniversaire de cette dernière que le drame éclate.
Bernard y joue les trouble fête, sûr de son droit et certain de la mauvaise conscience de ses frères. Seule Solange avec laquelle il a communiqué par courrier durant son service en Algérie semble prête à le comprendre et à l'excuser. Rabut dans une moindre mesure.
"Monsieur le Maire, vous vous souvenez de la première fois où vous avez vu un Arabe ?" Lance-t-il notamment.
Le roman est divisée en quatre parties construites sur une chronologie inversée.
APRÈS-MIDI, nous raconte le retour de Bernard dans son village après une absence de plusieurs années et le malaise que sa présence suscite parmi les habitants.
SOIR, donne la parole aux habitants et aux autorités du village - bistrotiers, maire et gendarmes - qui exposent leur vision du comportement de Bernard et de comment ils l'expliquent.
NUIT, la partie la plus longue du roman démontre l'absurdité de l'envoi du contingent en Algérie, l'absence d'encadrement des appelés et la dichotomie entre l'armée de métier acquise à la cause de l'Algérie Française et le contingent. "Les soldats envahissent le village et courent encore criant, ils crient pour se donner du courage, pour faire peur, comme des râles, des souffles, alors les vieilles cachent les paniers qu'elles sont en train de tresser et regardent les jeunes hommes et s'étonnent de ce qu'avec des armes dans les mains on dirait que ce sont eux qui ont peur."
MATIN, pose la question et maintenant ? La vie continue semble répondre Rabut...
La force du roman de Mauvigner est de donner la parole à ceux dont on a ignoré l'existence pendant des années. À Ceux qui sans avoir pris part au processus qui a conduit la France à occuper l'Algérie, à y établir une population, à donner le faux espoir d'une société apaisée, en sont devenus malgré eux, et pour leur plus grand malheur, le bras armé.
Un roman très juste qui laisse un sentiment doux amer.
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