AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de ODP31


ODP31
27 novembre 2020
La vengeance est dans le pré.
Huis clos au milieu de nulle part, enfin nulle part pas vraiment car nulle part n'existe pas, nulle part correspond à un ailleurs pour ceux qui y habitent – nulle part est donc un lieu commun pour dire que l'action se situe à la campagne, dans un trou perdu – pas perdu pour tout le monde puisque va s'y dérouler une séquestration plus haletante que ma phrase interminable, mais que voulez-vous j'ai été contaminé par l'écriture pour apnéiste de Laurent Mauvignier qui détaille chaque idée jusqu'à l'atome, disséquant chaque émotion pour ne laisser aucun reste, écrivant au ralenti l'action de l'inaction, chaque seconde dépassant son temps imparti par l'horloge et j'arrête là pour vous laisser reprendre votre souffle.
Une fois habitué aux phrases sans fin, j'ai fini par ne plus me soucier de ce style et je me suis inventé ma propre ponctuation de lecteur au souffle court qui s'endort en regardant le Grand Bleu, pour suivre cette histoire où trois patibulaires s'invitent chez les habitants du morne et paisible lieu-dit des Trois Filles Seules. Au casting des otages, les époux Bergogne, couple mal assorti, mari agriculteur bourru et épouse belle citadine, leur fille Ida, ainsi que leur voisine, une artiste en préretraite culturelle, retirée du monde des vaines mondanités.
Au fil des pages, j'ai compris que la lenteur du récit n'avait pas pour seul but de remplir le cahier des charges souvent élitiste des Editions de Minuit, mais de créer une tension permanente pour rendre palpable la peur et les émotions des protagonistes. le moindre geste subit ici une autopsie. C'est l'inverse d'un scénario et je dois avouer que ce thriller de 640 pages m'a pris aussi en otage. Moi qui goute les phrases chocs, la citation définitive, la rime impitoyable, je me suis laissé séduire par cette prose interminable qui ne semble jamais sure d'elle-même.
Ne dévoilant les mobiles des sales types qu'à dose homéopathique, le lecteur rentre dans la vie et la tête de tous les personnages. On y fréquente des traumatismes, le poids du passé, des frustrations et des complexes, on franchit le péage des non-dits. Nous avons affaire à des taiseux. L'introspection est une religion, les mots ont du mal à sortir mais l'auteur parvient à donner corps à ces êtres de friction..., complexes et torturés, thriller oblige.
Laurent Mauvignier, comme Serge Joncour, dans Nature Humaine, s'intéresse ici aux ruraux, à ceux qui vivent à l'extérieur des rocades et des périphériques. Il nous oblige à mettre le cligno, à sortir de la départementale éclairée aux étoiles, à stationner dans un de ses patelins déserts à la recherche de vrais gens. Il s'emploie à filmer leur solitude, leur rapport parfois douloureux à la modernité.
Si Serge Joncour a fait le choix de raconter 30 ans d'histoire vu de la campagne, Laurent Mauvignier concentre son récit sur une seule journée, avec pour apothéose une soirée d'anniversaire ratée qui vire au grand déballage, à l'expression d'une vengeance préméditée.
L'action est linéaire mais construite comme une course de relais où chaque personnage se passe le témoin pour s'emparer de la narration.
La violence inhérente au genre n'est pas noyée dans le récit. Elle est bien présente, froide et réaliste, ni épicée à la sauce hollywoodienne, ni intellectualisée à outrance. Elle fait office de ponctuation. Point final.


Commenter  J’apprécie          20519



Ont apprécié cette critique (165)voir plus




{* *}