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Citations sur La route des Balkans (22)

La chancelière semble détendue. Elle serre les mains, sourit pour des selfies. Un discours bon enfant, qui prend un tour sérieux quand elle évoque la crise des réfugiés. Elle répète : « Wir schaffen das ». Et insiste : « Dans cette situation, nous avons le devoir d’aider. » Elle dit aussi : « Celui qui vient pour de pures raisons économiques, il ne pourra pas rester. » En tant qu’Allemande de l’Est, elle rappelle l’année 1989, où les Hongrois, les premiers, ont laissé les citoyens de RDA fuir vers l’Ouest : « Il est difficile de voir que ceux qui ont, il y a vingt-six ans, ouvert pour nous les frontières, se comportent aujourd’hui très durement avec ceux qui ont fui manifestement sans autre choix. »
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Les jeunes filles ont téléphoné à leur mère, qui a pleuré de joie en les entendant. Pendant un long moment, elles n’ont perçu que sa respiration saccadée, puis leurs
prénoms répétés comme une incantation. Cinq mois avaient passé depuis leur départ, trois semaines sans nouvelles de ses filles. Non, toujours pas de message d’Elias. Soupirs. La somme demandée était importante, mais la mère a promis de la trouver et d’effectuer le virement vers le compte bancaire serbe indiqué.
« Que Dieu vous protège, mes filles.»
« Qu’Il vous protège, toi et nos sœurs, nous te rappellerons dès que nous arriverons en Allemagne, mère. »
Après une semaine d’attente, le virement bancaire est arrivé. Elles feraient partie du prochain convoi.
Avec cinq autres Syriens, on les a conduites en voiture à Horgos, à la frontière nord de la Serbie. Une ancienne bergerie en rase campagne, où s’entassaient une centaine de personnes dans des conditions d’extrême précarité. Il faisait très chaud. L’eau manquait.
À partir de minuit, les passeurs les ont emmenés par petits groupes successifs, avec des consignes de silence absolu. Elles ont réussi à traverser la frontière à un endroit où le mur grillagé n’avait pas encore été érigé par la Hongrie.
Les voici dans une forêt près du village hongrois de Roszke. Ce qu’elles ignorent, c’est que le responsable du réseau, un Afghan basé à Budapest, devait encore trouver un chauffeur remplaçant, si possible docile et pas trop cher.
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« Voici une lecture qui m’a marquée, à ton âge, Alma, et qui me semble toujours être d’actualité : Zum ewigen Frieden, Vers la paix perpétuelle.
(…)
– Et tu te souviens peut-être, poursuit Helga, songeuse, que pour Kant l’établissement de la paix universelle présuppose la reconnaissance d’un droit à l’hospitalité pour toute personne dont la vie est en danger dans son propre pays. »
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La victoire était amère. Il tremblait de froid et n’arrivait pas à éprouver de joie. Il était pourtant arrivé en Europe. La chance lui avait souri. La main d’un pêcheur grec s’était tendue vers lui, mais sa vie de clandestin n’était pas terminée. Désormais, la route des Balkans se dressait devant lui, hérissée d’obstacles et de murs…
Tandis que Tamim et ses compagnons se morfondent au fin fond d’une forêt hongroise, est achevée la clôture de barbelés de quatre mètres de haut et de cent soixante-quinze kilomètres le long de la frontière avec la Serbie. Un nouveau rideau de fer…
Vingt-six ans auparavant, le 2 mai 1989, la Hongrie commençait à démanteler sa frontière grillagée vers l’Ouest et, le 10 septembre 1989, elle ouvrait officiellement sa frontière vers l’Autriche, laissant passer des milliers de réfugiés est-allemands, avant que ne tombe le Mur de Berlin deux mois plus tard.
À présent, trois mille migrants arrivent chaque jour en Hongrie. Même après l’achèvement du nouveau mur, le nombre d’interpellations s’élève encore à huit mille sept cent quatre-vingt-douze le week-end du 28 au 30 août.
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La ville de Torbat-e Heydarieh, cent vingt mille habitants, se situe dans le nord-est de l’Iran, dans la province de Khorasan-e Razavi. Le trafiquant d’hommes décharge ses passagers dans la cour d’un immeuble en construction. Un Iranien à la fine barbe taillée en pointe examine les quinze recrues. Ils vont rejoindre les ouvriers, tous également clandestins. Ils dorment sur place, dans des appartements sans portes ni fenêtres. Une couche de sable épandue à même le ciment, une natte par-dessus en guise de matelas. Il est dangereux de quitter le chantier pour des sans-papiers. Alors ils travaillent sans relâche, pour rembourser le passeur et gagner de quoi payer la prochaine étape.
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L’identité des morts est maintenant connue. En face de chaque numéro est indiqué un nom, un prénom, un âge, un pays. Des vies réduites à cela, une identité, somme d’informations minimales, rien de plus. En face de la date de naissance, on ajoutera la date de la mort. Des décoctions de vies, qui passent à côté de l’essentiel ; la joie ressentie en contemplant un reflet du soleil couchant dans la vitre sale de l’autocar, le souvenir d’un baiser dans un bruissement de feuillage, un regard saisi à la volée et que l’on n’oublie pas. Ces fulgurances qui dévoilent la beauté du monde, à arracher le cœur, ces myriades de possibilités qu’offre la vie à chaque instant sont désormais closes. Toutes ces vies, scellées en destins.
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Tant de questions que l’on retient, par peur de blesser l’autre, par pudeur, par lâcheté… Tant de rêves que l’on garde pour soi, parce que la vie rêvée vaut moins que la vie réelle, pense-t-on. Mais qu’est-ce que la vie réelle ? Une vie édulcorée, banale, réduite à ce que l’on croit possible ? Une vie décente, qui plaira aux voisins ? Une vie comme on dessine les plans de sa propre prison ?
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Elle est née il y a vingt ans en Allemagne, un pays qui nourrit un rapport spécial à son histoire. Les Allemands ont pour cela des mots longs et compliqués, Vergangenheitsbewältigung, le fait de surmonter le passé, ou Wiedergutmachung, la réparation des fautes passées.
L’Allemagne oscille entre amnésie et devoir de mémoire, indifférence et sidération, histoires familiales retouchées et impressionnants mémoriaux, victimisation et responsabilité. Les villes sont semées de plaques commémoratives, les passants marchent sur des Stolpersteine, pavés rappelant le nom de victimes du nazisme. Mais il a fallu cinquante ans avant de reconnaître les crimes de la Wehrmacht. La légende d’après-guerre avait blanchi l’armée du Reich, afin de permettre aux dix-sept millions d’anciens soldats de vivre ou de reposer en paix, et à leurs familles, de tourner la page.
Alma sait pertinemment que l’histoire est une matière inflammable, et c’est cela qui l’attire : raconter l’histoire est sujet à controverses. Les historiens se querellent, la politique s’en mêle, les journaux exhument les dossiers enfouis, la mémoire s’embrouille. La plupart des familles sont bâties autour d’un puits d’ombre.
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Depuis que chacun reçoit son flot abrutissant d’images sur petit écran, nul ne peut plus l’ignorer, même à Lom : la Bulgarie est le pays le plus pauvre de l’Union européenne, et cette région, l’une des plus déshéritées de Bulgarie. Bienvenue chez les oubliés de l’opulente Europe. D’entendre parler d’eux à la télévision, même en mal, les habitants de Lom ont apprécié, car enfin on parle d’eux, on officialise leur état de parias et leur plein droit à se plaindre comme de juste.
Des fonds européens s’y déversent pourtant. Au milieu du chaos, une route, un pont, un hôpital, une usine sont rénovés ou construits à coups de millions d’euros. Une belle plaque bleue couverte d’étoiles dorées, sur laquelle est inscrit L’EUROPE S’ENGAGE, est apposée sur l’ouvrage ou sur le bâtiment rutilant.
Tout est rénové avec l’argent européen : la place de l’église, repavée, le jardin public avec ses bancs coquets, la bibliothèque et ses ordinateurs en libre accès, de nouvelles canalisations d’eau.
Mais les gens ne sont plus là. Ils sont partis au loin chercher du travail. Et, parmi les écoles remises à neuf, certaines ont dû fermer faute d’élèves. Le pays se dépeuple, malgré les investissements. Inauguré en 2013, le nouveau pont de Vidin, à une heure de route de Lom en remontant le Danube vers l’amont, un ouvrage imposant long de deux kilomètres, reliant la Bulgarie à la Roumanie, n’a pas réussi à désenclaver cette région.
Tout cela ne suffit pas pour fournir du travail aux plus pauvres des habitants. Ils se retrouvent le ventre vide au bord de la table du festin, avec juste un peu plus de rêve de partir.
C’est une géographie du manque : ni argent, ni travail, ni chance. Pas étonnant que des pauvres de Lom soient tentés d’exploiter encore plus malheureux qu’eux, car il y en a toujours, des plus malheureux, ceux qui n’ont pas encore le passeport frappé de douze étoiles, le sésame d’une vie meilleure.
Ces forçats de la route, les peuples de l’Orient et de l’Afrique qui fuient les guerres et les assassins, sont une manne de désespérés aux ourlets cousus de dollars. Alors, les miséreux font leur blé sur le dos des migrants. Pauvres contre pauvres, c’est une loi du monde.
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Tant de questions que l'on retient, par peur de blesser l'autre, par pudeur, par lâcheté... Tant de rêves que l'on garde pour soi, parce que la vie rêvée vaut moins que la vie réelle, pense-t-on. Mais qu'est-ce que la vie réelle ? Une vie édulcorée, banale, réduite à ce que l'on croit possible ? Une vie décente, qui plaira aux voisins ? Une vie comme on dessine des plans de sa propre prison ? p.116
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