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Critique de gruz


Elle fait chanter les mots et les âmes, déchire les corps et les coeurs, fait parler les rivières ou les morts. Tiffany McDaniel nous emmène du côté sauvage qui est celui de beaucoup de femmes.

Ensorcelé par Betty, touché par la grâce de L'été où tout a fondu, mis à terre du côté sauvage. Trois expériences de lectures mémorables, par celle que je considère comme la plus douée de sa génération (elle n'a que 39 ans).

Talent unique, prose incomparable, je voue à Tiffany McDaniel une admiration au-delà du mot même, il me faudrait en inventer un juste pour elle.

Autant Betty pouvait être un roman dur mais souvent lumineux, autant la part très sombre de ce nouveau roman m'a mis à genoux. Comme l'impression de ressortir de ce livre avec des bleus, secoué, malmené. Une histoire terrible, des scènes éprouvantes, mais toujours cette poésie de l'écriture qui illumine les pages ; un grand écart.

Des femmes mortes, retrouvées dans la rivière. Un polar ? En aucun cas. Un roman noir ? Assurément. Un récit de femmes avant tout ; sororité. Il faut savoir qu'il est très librement inspiré d'une histoire vraie, comme un hommage à ces femmes disparues.

Soeurorité tout d'abord. L'histoire de deux jumelles, deux moitiés d'un même fruit, qui pourrit au fil des ans tant l'environnement gâte sa vitalité. C'est Arc qui raconte sa vie, sa soeur, sa famille. Ses autres soeurs de douleur, aussi, des femmes qui souffrent, meurtries par les hommes, ravagées par la drogue.

Attardons-nous sur Arc et Daffy, dessinées de manière étonnante par une autrice habitée pour traiter ces relations gémellaires. Des passages de leur petite enfance d'une pureté émotionnelle à couper le souffle, bénis par une écriture sublime.

Pareilles et pourtant dissemblables, elles ne se quittent pas, ne le peuvent pas. Yeux vairons, inversés, un bleu pour rappeler l'eau, un vert pour la terre. Enfermées dans de terribles relations parentales, qu'une grand-mère ne suffit pas à sauver, enchaînées d'une génération à l'autre dans l'horreur et la déchéance. Prédestination.

Alors les deux soeurs s'immergent dans leur imaginaire, jusqu'à s'engloutir. Et se racontent des histoires. Jusqu'à se leurrer. Et s'échapper plus tard par la came, opium d'un peuple de femmes brisées.

Comme dans Betty, L'autrice prend le temps, délaie l'action, fait virevolter ses mots pour développer ses personnages. Fait vibrer les cordes émotionnelles avec ses d'expressions imagées, mêle scènes crues et poésie. Une fracture qu'elle fait tenir par la puissance du verbe. La patte McDaniel.

Un roman de rencontres inoubliables qui rassemblent dans la douleur. Multiples mais définitivement marquantes, dont celle d'une femme enceinte qui se berce d'illusions ou encore celle, haute en couleur, d'une femme violette. Oui Tiffany McDaniel est une imagicienne.

Un texte où on peut être enterré dans les étoiles, ou se perdre dans un trou de serrure. Parfois onirique, une ode à l'imagination. C'est tout ce qu'il reste à ces femmes qu'on broie et qui se noient. Au point de devenir veuves d'elles-mêmes, abandonnant l'amour pour la mort.

700 pages qui auraient sans doute gagné à être un peu réduites cette fois-ci, mais l'immersion est telle que c'est presque un détail. Ces femmes font partie du lecteur, les voir souffrir, les quitter, est un déchirement.

C'est un voyage, celui de l'espoir perdu, où on enterre ses rêves à pleine pelletée. Emporté par la vague lyrique, touchante et inventive d'une écriture à nulle autre pareille. J'en perds mes mots tant il y aurait à dire, à crier, à hurler.

C'est noir, noir, noir, mais c'est beau. Élégiaque, qualifie l'éditeur, c'est bien vu. C'est à la fois intensément tendre et profondément triste, toute la mélancolie d'une poésie en prose qui fait vibrer les cordes sensibles sans tricher, et qui touche l'âme.

Il faut absolument souligner la qualité de la traduction, ciselée jusqu'aux rimes par un François Happe devenu jumeau de plume depuis le premier roman. Il contribue grandement au pouvoir des écrits de l'autrice américaine.

Tiffany McDaniel, par la puissance de ses mots, raconte le défi d'être une femme à tenter de s'échapper du côté sauvage. Un talent décidément unique, d'une puissance folle.

En seulement trois romans, elle est devenue mon « écrivain » préféré, Ce n'est que justice que ce soit une femme. L'avenir lui appartient.
Lien : https://gruznamur.com/2024/0..
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