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Critique de afriqueah


Bel-Ami n'est pas ce que l'on croit, l'histoire d'un gigolo cynique, soulevant les femmes par sa verve, (remplacez vous-mêmes le v par un g) et sa moustache frisée. Maupassantlui-même a rendu l'équivoque possible, en parodiant avec humour Flaubert : « Bel-Ami, c'est moi. »
Car le roman, en plus du rapport, indubitable, de Georges Duroy avec les femmes, présente un long discours d'un poète sur la mort, digne de Schopenhauer : «  La mort, à votre âge, cela ne signifie rien. Au mien, c'est terrible … Il arrive un jour, et il arrive de bonne heure pour beaucoup, où derrière tout ce qu'on regarde c'est la mort qu'on aperçoit… Moi, maintenant, je la vois de si près que j'ai souvent envie d'étendre les bras pour la repousser. Elle couvre la terre et emplit l'espace, Je la découvre partout… Elle me gâte tout ce que je fais, tout ce que je vois, ce que je mange et ce que je bois, tout ce que j'aime. Les clairs de lune, les levers de soleil, la grande mer, les belles rivières, et l'air des soirs d'été, si doux à respirer ».

La mort, avec ces pages admirables et très connues, menace notre comédien quand il doit se battre en duel, et l'approche quand il assiste à celle de son « meilleur » ami, dont il épousera la femme, d'ailleurs.
Georges Duroy a passé deux années en Algérie, et Maupassant nous le présente, cruel et gai, occupé à rançonner les habitants, à les tuer impunément « l'Arabe étant un peu considéré comme la proie des soldats ». La mort, toujours, et la prise de position de l'auteur. Pour la justice sociale, contre les invasions coloniales.
Au retour à Paris, Georges n'a pas de quoi manger, il  ouvre une fenêtre « pour avaler un bon bol d'air ». En petit Rastignac, il s'intègre dans le monde du journalisme, de la politique et de l'argent, où de plus grandes crapules que lui font fortune.
Maupassant, sans aucune illusion, dresse une critique de ce monde parisien : «  des ministres, des concierges, des généraux, des agents de police, des princes, des souteneurs, des courtisanes, des ambassadeurs, des évêques, des proxénètes, des rastaquouères, des hommes du monde, des grecs, des cochers de fiacre, des garçons de café et bien d'autres »tous magouillent. Les journalistes jouent du bilboquet, spéculent, utilisent leurs informations pour s'enrichir. Pas un pour rattraper l'autre.
Ceci dit, passons aux femmes, car je sens parmi vous une certaine impatience. Lorsqu'il arrive, rusé, sans aucun scrupule, à séduire sans grand effort une femme mariée, il sent que toutes les autres femmes vont se précipiter dans ses bras.
Et il n'a pas tort.
Les femmes sont pour Duroy interchangeables et doivent lui servir : l'une parce qu'elle écrit ses chroniques, l'autre parce qu'elle loue l'appartement pour héberger leurs amours, et lui glisse des pièces mine de rien, je veux dire que même lui ne s'en aperçoit pas ( ??), enfin la troisième, la femme de son chef, parce qu'elle lui donne des tuyaux financiers et l'aide à être décoré et nommé baron.
En bon gigolo, il refuse une fois, deux fois, qu'on le paye, mais n'hésite pas à forcer sa femme (oui, celle de celui qui est mort et dont il est affreusement jaloux, puisqu'il vit dans le lit de « l'autre ») à partager un héritage. Un fois la chose faite, il obtient le divorce, puisqu'il y a adultère (dont il a profité ).
Les femmes sont toutes des filles, dit-il, les tromper, leur mentir, elles ne méritent que cela. Et lorsque «  l'âge dangereux où la débâcle est proche » menace une de ses conquêtes, il est impitoyable, et ne supporte plus qu'elle le touche, car les baisers dépendent de la bouche qui les donnent, pas de la personne dont les rêves et les espoirs ne correspondent pas à la réalité.
Freud avouait sa même incompréhension des femmes.
« Il sentait seulement en lui fermenter cette rancune de tous les mâles devant les caprices du désir féminin ». Et puis, il se moque de ces «  n'abusez pas de moi, en plein milieu de l'église : «  comment aurait-il abusé d'elle en ce lieu ? »
Et reste insensible aux supplications autant qu'aux affirmations de vierge effarouchée de la part d'une femme mariée (encore une autre), alors qu'il s'émeut devant une pauvre femme qui prie, « se demandant quel chagrin, quelle douleur, quel désespoir pouvaient broyer ce coeur infime. Elle crevait de misère ; c'était visible. Elle avait peut-être encore un mari qui la tuait de coups ou bien un enfant mourant ». 
Miroir (le miroir, là où on aperçoit son fantôme) du surmâle insensible et rendant sensible, et pourtant jaloux d'un mort qui lui a laissé la place, ainsi que de la société pourrie du milieu d'affaires et du journalisme, enfin la mort, la méditation dont je n'ai donné que de petits extraits : voilà ma lecture, partielle et partiale, bien entendu.
Maupassant se surpasse, et nous dessine le roman complet d'un monde qu'il exècre, à l'évidence, ce monde où les riches dépensent tant d'argent pour s'accoupler, où la corruption parait presque naturelle, sauf pour lui. Roman qui n'a pas pourtant pas donné lieu à un procès.
Prenons l'émotion de Bel-Ami devant la pauvresse qui prie comme l'émotion réelle de l'auteur, pas un panégyrique du gigolo cynique. Et surtout, surtout, avec des envolées lyriques sur la mort, sur la solitude, inoubliables.
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