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Critique de oblo


oblo
13 février 2020
Dans la nuit new-yorkaise résonne, sous la houlette de guérilleros en treillis, l'hymne bolivien. C'est le signal que la fête peut commencer, ou simplement reprendre, et que l'espoir demeure, tant que le coeur bat, que le jeune homme dont on suit les virées nocturnes saura trouver une jeune femme pour l'aimer. Ce jeune homme, auquel le narrateur s'adresse en le tutoyant, telle une entité divine moralisatrice ou tout simplement tel un autre moi du personnage principal avec lequel il aurait pris ses distances, travaille à la correction des épreuves dans un journal new-yorkais. Travail de fourmi qui consiste à vérifier chaque information, chaque orthographe, chaque détail précis évoqué dans l'article par le journaliste. Travail absurde, si l'on en juge par le fait que la gloire est toujours réservée aux journalistes, et les ennuis aux correcteurs qui n'auraient pas su déceler les erreurs avant la publication. le service est mené d'une main de fer par Clara Tillinghast, sorte de Kommandantur locale contre laquelle personne n'ose se dresser.

Voilà donc un jeune homme qui fait un travail qu'il n'aime pas dans une ville qui le consume littéralement. Les bars et boîtes de nuit n'ont plus de secret pour lui, pas plus que leurs lieux de commodités, dont l'usage est détourné sans vergogne pour en faire, bien plus que des lieux d'aisance, des lieux de débauche où la petite poudre blanche bolivienne réveille un homme - ou une femme - en même temps qu'elle le détruit. Dans ces virées nocturnes qui ressemblent à de dangereuses embardées, le personnage est accompagné de Tad Allaghash, compagnon de fête sans soucis ni limites, et qui n'a de cesse de rechercher le plaisir là où il est censé se trouver et qui n'a de cesse, par conséquent, de courir toutes les cages où s'enferment les oiseaux de nuit.

Le narrateur - qui n'est pas, ou peut-être l'est-il - le personnage principal porte un regard caustique et désabusé sur la situation de celui-ci. Il use d'un humour noir qui grince et souligne au mieux la déchéance de ce jeune homme de vingt-quatre ans qui aurait juré, lorsqu'il arriva à New York quelques années plus tôt, qu'il allait y bousculer les codes de la société littéraire locale. En effet, le personnage principal se rêvait - et se rêve encore, lorsqu'il parvient à rêver, ou à échapper à la fête et aux petits démons boliviens - en nouvelle figure littéraire. Bien-sûr, il envoya - vainement - quelques nouvelles qui, malgré d'évidentes qualités, ne retinrent pas l'attention du service littéraire de son propre magazine. Certes, une place dans un tel journal est une opportunité et un honneur dont le personnage principal ne s'embarrasse pas de vanter les mérites lorsqu'il s'agit de conquérir - pour une soirée ou une nuit - le coeur d'une femme. Mais dans un travail qui n'a plus de sens, on risque vite de tourner en rond et, si l'on est au milieu d'un océan, même urbain, on risque de s'y noyer.

Pourtant, la situation professionnelle de notre apprenti littérateur est-elle la source de sa plongée dans la drogue, de sa fatigue récurrente et de ses amours passagères ? Certes non. Peu à peu émerge, au milieu des balades fortuites dans Greenwich Village, le fantôme d'une femme : Amanda. Elle n'est pas morte, non. Elle est partie. Rencontrée au Kansas où elle vivait, elle est venue vivre son rêve américain à New York. Très vite, elle est devenue mannequin, et s'est prise au jeu. Un jour, elle a appelé de Paris pour dire qu'elle ne rentrait pas. Et voilà notre jeune personnage principal, perdu dans la faune new-yorkaise, qui la cherche, elle, son visage, son corps (donné à des mannequins de plastique dans les vitrines des magasins de mode), leur vie conjugale, leur amour perdu, dans toutes les soirées que l'on donne au Heartbreak (un nom révélateur) ou au Lizard Lounge Et, à bien y réfléchir, il n'y pas que cela qui ne tourne pas rond. Peut-être faudrait-il encore évoquer le souvenir d'une autre femme, terriblement importante et qui manque terriblement depuis son décès, à savoir sa mère.

Bright lights big city est un roman plus profond qu'il n'y paraît. Il ne s'agit pas simplement d'une descente aux enfers, poudrée de blanc, d'un jeune homme plein de talent et promis à une fructueuse carrière. Non seulement McInerney utilise New York pour évoquer une géographie intime de son personnage principal (l'Etat rural de ses parents est inaccessible ; le Queens est une banlieue où l'on ne se rend que contraint ou inconscient ; Greenwich est le quartier des souvenirs de la vie de couple et des ambitions littéraires ...), mais il laisse transparaître, page après page, le drame personnel d'un jeune homme bien seul, entouré de vacuité (dont Tad Allagash serait la personnification) sous les spotlights de la big city. Bright lights, big city but lonely heart.
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