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Critique de Arakasi


Quinze ans se sont écoulés depuis « La Marche du Mort » et Woodrow Call et Augustus McCrae sont maintenant des texas rangers aguerris. Ils ont arpenté la Frontière de long en large, combattu et tué comanches et pistoleros jusqu'à l'écoeurement, et tout ça pour un salaire de misère et une reconnaissance encore moindre. Les voici maintenant bombardés capitaines puisque leur ancien officier, l'excentrique capitaine Inish Scull, vient de leur fausser compagnie pour partir à la poursuite son cheval enlevé par le célèbre voleur de chevaux comanche Kicking Wolf. Face à leurs nouvelles responsabilités, nos deux larrons restent fidèles à eux-mêmes : Call prend son nouveau poste comme il prend toute chose, c'est-à-dire mortellement au sérieux, et Gus s'en fiche éperdument et profite juste de son nouveau statut pour asticoter davantage ses comparses. C'est peut-être là l'ultime sagesse. Dans le monde atroce de la Frontière où les enfants sont massacrés, les femmes violées à tour de bras, les colons scalpés ou écorchés pour un oui ou pour un non, la seule solution est peut-être d'en rire. Car si on n'en riait pas, on en deviendrait surement complétement fêlé…

Horreur et humour, violence et burlesque, il n'y a que McMurtry pour concilier avec autant de talent ses extrêmes. Sur une même page, il parvient à nous arracher un hoquet d'horreur et un sourire d'attendrissement. Une séquence de torture particulièrement épouvantable peut être suivi par une hilarante séance d'arrachage de poils de nez et ceci sans la moindre fausse note, sans la moindre trace de mauvais goût. Miraculeux, je vous dis ! le souffle épique qui m'avait tant transportée dans « Lonesome Dove » est bien toujours là mais est doublé d'un délicieux sentiment d'absurdité. Pendant 700 pages, on voit Call et Augustus zigzaguer du Mexique au Texas pourchassant bandits et comanches sans jamais réussir les croiser. Ils ratent la grande attaque de Buffalo Hump sur Austin, arrivent systématiquement en retard à chaque affrontement, ne participeront même pas à la Guerre de Sécession, manquant complétement leur rendez-vous avec l'Histoire. Par conséquent, le sous-titre un brin pompeux choisi par Gallmeister, « Lonesome Dove : l'affrontement », me fait doucement rigoler.

Niveau personnages, c'est avec un immense plaisir que l'on retrouve nos vieilles connaissances de « Lonesome Dove » plus jeunes de vingt ans et avec beaucoup de plomb dans la cervelle en moins. Sans être arrivés au sommet de leur maturité, loin s'en faut, Call et Augustus commencent à beaucoup ressembler à ceux qu'ils seront vingt ans plus tard. Ils ont déjà leurs petites manies et leurs indécrottables défauts, leurs habitudes de vieux couple, passant leur temps à se chamailler et à se chercher mutuellement des poux – enfin, surtout Augustus, Call lui subit en faisant la gueule. Ils sont batailleurs, courageux, têtus, très cons par moment, surtout avec les femmes, mais toujours irrésistiblement humains.

Parlons-en, tiens, des femmes ! Plus nombreuses que dans « La Marche du Mort », elles sont pourtant bien à plaindre, croyez-moi… Il faut dire que si la vie est dure sur la Frontière, elle l'est particulièrement pour les femmes à qui on demande tant sans jamais rien donner en retour. Car une chose est sûre : ce n'est pas des hommes que viendra le salut ! Elle l'a bien compris, Clara, qui, tout en aimant Augustus, persiste à le repousser car elle ne lui fait pas confiance – à raison, hélas. Elle devrait le comprendre, Maggie, qui attend désespérément de Call un geste de tendresse ou de reconnaissance. Dans « Lune Comanche », on se brise le coeur non par cruauté, mais par ignorance, par incompréhension mutuelle, hommes et femmes restant de perpétuels étrangers. Comme le dit le poète, au Texas comme partout ailleurs, « il n'y a pas d'amour heureux… »

Tout ça pourrait verser dans le tragique et le pathos, mais McMurtry ne le fait jamais. Tout au long du récit, sa plume conserve sa vitalité et sa chaleur humaine. C'est triste, c'est gai, c'est horrible, c'est cocasse, c'est épouvantable, c'est merveilleux… C'est la vie, quoi ! A consommer sans modération.
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