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Critique de Woland


The Other Hollywood : The Uncensored Oral History of the Porn Film Industry
Traduction : Claire Debru

ISBN : 9782844853998



J'ai dit ici tout le bien que j'avais pensé de "Please Kill Me : Histoire Non Censurée du Punk Par Ses Acteurs", ouvrage concocté une fois de plus par Legs McNeil mais cette fois-là avec l'aide de Gillian McCain. Sans cette lecture, jamais je ne me serais intéressée à "The Other Hollywood ...", publié d'ailleurs chez le même éditeur et dans le même format. Mais devant la qualité du travail accompli par McNeil et McCain pour "Please Kill Me", on pouvait penser, sans trop de risques, que le livre sur l'histoire du film porno américain serait de la même veine. Pari gagné : "The Other Hollywood ..." est une somme, une masse, un incontournable sur la question, le tout sans voyeurisme inutile et sans aucune autre vulgarité que certains excès de langage de quelques intervenants.

Le principe, on le connaît déjà : donner la parole à ceux qui ont vécu l'Age d'Or du phénomène étudié. A quelques rares exceptions près - et hormis pour les aficionados du genre, bien sûr - les personnalités qui s'expriment ici ne doivent pas être connues du grand public français. Précisons en effet que ce livre - une véritable Bible, si l'on veut bien me passer l'expression - ne traite que du film porno "classique", c'est-à-dire hétérosexuel, américain. Comme le font remarquer les auteurs, pour bien faire, il faudrait un second opus pour traiter le porno gay aux USA. Quant à la production européenne, elle n'a évidemment rien à voir avec cette "Histoire ..."

Certains, bien pensants et autres, se récrieront sans doute à l'idée que le film pornographique puisse avoir une "histoire." Et pourtant, les premiers films de ce type, qui nous paraîtraient aujourd'hui bien anodins, datent de la naissance du cinéma, ce qui ne rajeunira personne. Wink McNeil et Osborne ne s'attachent d'ailleurs pas à cet aspect du phénomène, préférant poser leur point de départ à l'époque des "nudies", petits films pseudo-naturistes des années quarante et surtout cinquante, lesquels, eux non plus, ne nous feraient guère rougir.

C'est bien entendu avec l'éclatement de ce que l'on nomme, aux USA, la Contre-culture, que le cinéma pornographique américain déploie ses ailes. Un film, notamment, va lui permettre d'entrer de plain-pied dans la lumière des projecteurs, "Deep Throat / Gorge Profonde", en 1972, de Gerard Damiano. Petit budget (25 000 dollars) destiné à l'origine à une exploitation limitée, "Gorge Profonde" rapportera à ses commanditaires - la pègre, pour ne pas la citer - plus de 600 millions de dollars. Il créera aussi la polémique - et continue de la créer car son actrice principale, Linda Lovelace, est l'auteur de quatre textes autobiographiques contradictoires sur son tournage. Dans les deux premiers, elle assure que tout fut merveilleux et que tourner des films de ce genre, c'est vraiment le pied. Dans les deux derniers, elle revient sur ses dires et accuse son mari et manager, Chuck Traynor (un ex-marine reconverti en proxénète, il faut bien le reconnaître) de l'avoir contrainte par la violence à tourner toutes les scènes pornographiques du film. Quand est-elle sincère ? ...

Notons que cette ambiguïté se retrouve dans le témoignage d'une autre gloire féminine du porno américain, Sharon Mitchell, laquelle intervient très souvent dans le livre et ne répond pas du tout, il est important de le souligner, au profil de femme battue de Lovelace. Au début, elle présente le tournage de scènes pornographiques comme une chose exaltante et même réconfortante. Un tiers de pages plus loin, elle reconnaît qu'il était plus facile de le faire après avoir consommé de la drogue - Mitchell fut d'ailleurs accro à l'héroïne. Dans tout ça, où est la vérité ? ...

Linda Lovelace devait mourir en 2002, dans un accident de voiture, à l'âge de cinquante-trois ans, après une existence en dents de scie, après avoir été utilisée semble-t-il certainement par Traynor mais aussi, hélas ! par les mouvements féministes et anti-pornographie américains. Qui était-elle vraiment ? Et, surtout, le savait-elle elle-même ? Son drame est semblable à celui de bien des "vedettes" du porno qui n'existent en fait que par et pour leur corps.

Autre "grand nom" de cette industrie, John Holmes, réputé pour la longueur de son sexe et les "performances" qu'il lui permettait. Dans son cas, comme pour Lovelace - née Boreman - l'enfance malheureuse est au rendez-vous. Holmes y échappe en s'enrôlant dans l'armée. Rendu à la vie civile, il épouse une jeune infirmière, trouve un emploi de conducteur d'engin-élévateur. Mais cette vie ne le satisfait pas outre mesure. Quand un photographe, ayant utilisé l'urinoir voisin du sien, lui propose de l'introduire dans le monde de l'industrie filmique pornographique, il accepte ... Après cela, c'est l'escalade - ou plutôt la dégringolade : l'addiction à la cocaïne - particulièrement à la freebase, cocaïne chauffée par le consommateur et que l'on connaît aussi sous le nom de crack - magouilles en tous genres et enfin la tuerie de Wonderland Avenue, le 30 juin 1981, organisée par le mafieux Eddie Nash en représailles d'un cambriolage qu'avaient effectué chez lui des amis de Holmes, sur les indications de celui-ci. Ayant tout révélé à Nash, Holmes a la vie sauve mais il est tenu par le trafiquant d'assister à la tuerie - voire d'y participer, rien ne fut jamais prouvé. Cette affaire va précipiter la course vers le vide que Holmes menait pratiquement depuis sa jeunesse d'enfant battu. Il s'éteint en 1988, des suites du Sida qu'il avait contracté non en se droguant - Holmes ne se piquait pas : il avait horreur des aiguilles - mais en tournant des films pour hétéros et aussi pour gays.

Encore Lovelace et Holmes ne sont-ils que deux noms emblématiques du porno américain. En cela, leur histoire est évidemment exemplaire. Mais ils ne furent pas les seuls à "mal" finir - les femmes paraissant cependant plus exposées au suicide que les hommes.

McNeil et Osborne évoquent également l'arrière-plan mafieux de l'industrie. Sans oublier le scandale Tracy Lord, actrice porno qui, avec une fausse carte d'identité, parvint à tourner une impressionnante série de films alors qu'elle était encore mineure. Quand elle avoua la chose, tous ses films durent être retirés de la circulation. Mais pourquoi la confessa-t-elle, justement ? Etait-elle de mèche avec l'Etat américain qui cherchait depuis des lustres de réduire l'influence de la Mafia dans le milieu du porno ? On ne le saura sans doute jamais.

Un ouvrage riche, donc, et tout aussi richement illustré - mais sans voyeurisme superflu. Un ouvrage qu'apprécieront tous ceux qui s'intéressent de près ou de loin au phénomène dont il parle. Mais un ouvrage qui ravira également les simples Candide en la matière. On y apprend beaucoup - et c'est très édifiant. ;o)
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