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Critique de LeScribouillard


Qu'ont fait les habitants du château de la Belle au Bois Dormant une fois que celle-ci s'est fait la malle avec son prince charmant ? Ils ont reconverti leur domaine en ruines en foyer pour les personnes ayant besoin de se réparer à l'écart du monde. C'est du moins ce que nous raconte Linda Medley dans Château L'Attente, roman graphique de plus de 400 pages (et il ne s'agit que du tome 1).
Sachant que j'étais trop une feignasse inculte pour trouver suffisamment d'autrices incontournables en SFFF à mettre en avant pour le nouveau tag de Vert, j'ai décidé de faire amende honorable et de me pencher un peu plus sur la fantasy faite par des femmes. Et ça tombe bien car j'avais acheté ce bouquin à L'Étrange rendez-vous, labellisée meilleure librairie de bandes dessinées de tous les temps par une haute instance (moi-même). C'est donc parti pour suivre les pérégrinations de Jaine Solander, noble dame dont le coeur du mari l'était moins, fuyant ses persécutions en se réfugiant dans l'étrange demeure. D'emblée, on s'imagine un huis clos entre des personnages se voulant accueillants mais ayant de gros défauts ou un lourd passé, un drame intime à la Winter Sleep ou Long voyage vers la nuit. Mais l'autrice se tourne immédiatement vers quelque chose de beaucoup plus bienveillant.
Et ça a du bon : les personnages ne se prennent pas trop au sérieux, adorent se chamailler les uns les autres, on se lie d'amitié pour cette bonne soeur peu orthodoxe qui tente de ramener un démon au Christ tout en étant assez subtile pour ne jamais faire de prosélytisme, M. de Ciconius et son aspect très intello-super-sérieux cachant un coeur beaucoup plus sensible, ou encore les pixies qui hantent le château avec une multitude d'apparences différentes. À un moment, j'ai cru qu'on allait avoir un traitement caricatural des gitans, mais l'autrice se révèle beaucoup plus subtile que ça, et un petit retournement de situation plus tard nous nous initions à leur culture ; on découvre également le fameux secret des diseuses de bonne aventure, et j'ai particulièrement aimé. L'ensemble déborde d'optimisme, avec une bande d'amis prêts à affronter les coups durs de la vie.
Mais le manque d'intrigues se fait sentir : très vite, il ne sera plus question du mari de Jaine, et l'histoire ne consiste plus qu'en des tranches de vie souvent peu connectées entre elles et de courts récits racontant le passé des personnages (principalement celui de la nonne). le très long début nous raconte l'histoire de la Belle au Bois dormant sans grande innovation et avec quelques temps morts, le seul cliffhanger concernant l'héroïne est très vite évacué ; une frustration apparaît à mesure qu'on s'aperçoit de l'absence de liant. Il ne plane aucune menace, aucun des personnages n'a à se remettre en question, bref l'histoire pourrait s'interrompre à quasiment n'importe quel endroit sans que forcément le reste en pâtisse.
Et puis tout de même, tout n'est pas rose : on parle de thèmes graves, faisant sans doute écho à la vie de l'autrice, d'une femme battue, d'une princesse qui se fait rouler une pelle lors d'un sommeil de cent ans (donc pas forcément très consentante), du traitement des femmes à barbe dans les cirques (et plus généralement de tous ceux qui s'y font humilier, les freaks et les animaux dressés) ; mais malgré tout on reste sur quelque chose de très léger. On parle très peu de l'histoire de Jaine et son mystérieux mari (même si j'ai ma petite idée de qui c'est), et la série de quelques flashbacks qu'on a de sa vie passée s'arrête brusquement, en queue de poisson ; le prince était sous l'effet d'un charme, il a donc agi à l'insu de son plein gré (comme diraient les Guignols) ; enfin, si Linda Medley reconnaît qu'il existe dans le cirque des numéros pouvant susciter la moquerie, on ne parle pas plus que ça des conditions de dressage des animaux (là où une BD comme La lumière de Bornéo, si elle montrait un dresseur sous un jour positif, s'affranchissait radicalement de toute forme de réalisme en en faisant un instructeur non-violent transformant les animaux en artistes, et ne fermait pas les yeux sur le fait que les patrons de cirque n'ont généralement guère de scrupules sur le bien-être de leurs animaux en cage). Bref, j'étais en mode : C'est tout ? Il y aurait tant de choses à creuser…
Enfin, l'absence d'enjeux finit aussi par se faire ressentir sur l'humour : de temps à autres, on tombe sur ce que j'appelle une blague à la Petzi, c'est-à-dire un petit truc gentillou comme une gaffe sans incidence sur le reste du récit. Je ne peux pas m'empêcher de penser à l'un des gags : ç'aurait été bien plus drôle que Ciconius et Chess se rendent compte qu'ils ont donné aux brigands la bourse pleine d'or plutôt que celle de cailloux, et se rendent compte ensuite compte devant leur fournisseur qu'ils se sont trompés (en tout cas, ç'aurait eu plus d'impact sur l'histoire).
Tout ça m'a posé question sur ma vision du monde : faut-il toujours être bienveillant ? Dans ma vie de militant, il m'est arrivé de tomber sur des gens m'affirmant qu'il fallait au contraire brusquer l'autre pour lui faire prendre conscience de la dureté du monde, de l'importance du travail bien fait ou encore des valeurs qu'on défend ; et moi-même, je serais resté débile sur certains sujets si on ne m'avait pas fourré le nez dans mon propre caca. Ainsi, si j'essaye pour ma part d'être toujours plus bienveillant envers les oeuvres que je chronique (sauf s'il s'agit d'énormes bouillasses cyniques à la Star Wars IX), j'essaie de ne pas non plus faire fi d'une certaine exigence. L'idéal pour moi serait d'allier les deux, pour encourager lecteurs et auteurs à aller vers toujours plus de qualité. J'espère avoir en tout cas réussi à le faire pour ce roman graphique.
Bref, pour peu que vous n'aimiez pas dans la fantasy que les décapitations de dieux zombifiés à coups de francisque buveuse d'âme, je vous conseille malgré tout Château L'Attente. Cette BD délicate et intime transmet de très beaux messages d'espoir, mais j'ai tout de même eu l'impression de manger un plat auquel il manquait quelques épices. Il s'agit d'un bon compagnon de route pour les longues après-midis pluvieuses, et je ne m'interdis pas d'un jour acheter le tome 2 ; car après tout, c'est pour ma culture…
Lien : https://cestpourmaculture.wo..
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