AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de R-MDominik


Quelle belle écriture, quelle belle histoire, avec aussi en toile de fond, un partie de l'histoire italienne. Voici l'histoire à grands traits : un homme et une femme meurtris par la vie croisent leurs destins pendant deux jours, sur une île de la Méditerranée. Un lieu à la beauté sauvage, où lumière, mer, vent et parfums devraient enivrer les sens. En réalité, cette île aux horizons infinis est une prison de haute sécurité, avec ses espaces confinés, ses règles rigides et ses prisonniers à l'isolement. Luisa et Paolo, les protagonistes, y débarquent un jour de 1979 pour rendre visite l'une à son mari, l'autre à son fils. le fils de Paolo faisait partie de ces Brigades Rouges, il a tué de ses mains et fut jugé et condamné, le mari de Luisa a lui aussi été condamné pour meurtres. Même si cela n'en est pas vraiment le sujet, l'histoire se situe en 1979 et évoque les années de plomb qui plongèrent l'Italie dans le sang.
Je partage quelques lignes (mais ne vous fiez pas à ces lignes très politiques, le livre est un vrai roman.) Seulement ces lignes résonnent très fort, ici et maintenant. le parallèle est tentant, même si les circonstances n'ont pas grand-chose de commun.

« Il manque beaucoup de choses ici, il n'y a que le mot. »

(…)

Le premier était sûrement « révolution ». Qui n'est pas laid en soi, pensa Paolo, comme chose et encore moins comme mot. Bien au contraire. Il est laid, si, justement, il n'y a que le mot et pas la chose. En France, en 1789, il y avait le mot et la chose aussi. En 1848, le mot se répandit dans toute l'Europe, mais surtout la chose. En Russie également, en 1917, il y avait les deux, comme à Cuba en 1959. Mais dans l'Italie de 1979, le mot « révolution » avait beau être scandé, polycopié, écrit sur les murs de façon presque obsessionnelle, la chose, non, la chose n'existait pas. Les gens n'avaient pas empoigné leurs fourches, les électeurs n'avaient pas cessé de voter, les citoyens ne mettaient pas le feu au Parlement.
Ce n'est que l'année d'avant, lorsque l'homme d'État avait été enlevé et que son escorte avait été assassinée au cours d'une action militaire efficace et impitoyable, que beaucoup de gens pensèrent que la révolution allait éclater dans le pays. Il n'en fut pas ainsi. On donna un autre nom à ce qui se passait : « violence ». Et le pays pleura les victimes.
C'est ainsi que Paolo expliquait les choses. C'était simple, au fond. Quand la chose correspond au mot, on fait de l'Histoire. Mais s'il n'y a que le mot, alors c'est de la folie. Ou bien tromperie, mystification.
Et puis, que leurs mots étaient donc laids ! Ils pullulaient dans leurs tracts, dans les dépositions au tribunal, dans ses entretiens avec son fils. Paolo apprit « qu'attentionner » voulait dire : recueillir des informations sur les victimes de futurs attentats. « Se compatimenter » : ne rien savoir l'un de l'autre dans la clandestinité. « Autofinancement » : hold-up. « Prolétariat » : eux et leurs sympathisants, indépendamment de la classe sociale. « Superfétation idéologique »: là, Paolo avait jeté l'éponge – il n'avait jamais compris ce que cela signifiait réellement.
Et les phrases toutes faites : « de la force de la raison à la raison de la force ; élever le niveau de l'affrontement ».
(…)
La misère de ce langage. La laideur. L'auto-illusion. »

J'ai refermé le livre plein d'une émotion indicible, l'histoire de ces deux êtres meurtris, leur rencontre dans ce lieu improbable. L'histoire de Nitti Pierfrancesco, gardien de cette prison très spéciale, dont on ne sort pas si l'on est « chamois » (détenu) et dont on se sort pas indemne quand on est maton...
29 mai 2019 à 18:21
Commenter  J’apprécie          50



Ont apprécié cette critique (5)voir plus




{* *}