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Critique de cprevost


« L'avenir en commun », le programme de Jean-Luc Mélenchon, sorte de polymère semi-cristallin, mélange de régions dures et molles, sans structure véritable, est décidément un étrange objet dont il est bien difficile de rendre compte. S'il capte l'attention d'une fraction de la gauche malgré l'incohérence des mesures et l'inanité des moyens proposés, nous devons bien admettre qu'il n'est pas parvenu à cette relative réussite malgré ses déficiences mais grâce à elles. C'est l'apparente radicalité alliée à abracadabrantesque tranquillité du chemin proposé qui séduisent et qui rassurent. Couardise, égoïsme ... toutes ses dérives travaillent une partie de la gauche et interdisent de réfléchir et d'agir ; elles ne représentent pas la totalité du mouvement social mais sa face grise, vieillissante et usée, elles manifestent son état présent d'apathie et d'angoisse. Au fond, nous devrions être reconnaissant à cette sorte d'offre politique, elle flatte et incarne ce qu'il y a de médiocre autour de nous, en nous, mais elle nous oblige aussi à regarder la réalité en face. Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi ce programme est contre-productif ? de quoi Mélenchon est-il le nom ?


La France insoumise ce n'est certes pas celle des apprentis notable, issus des hauts lieux de la reproduction sociale (science po et écoles de droit), qui président aux destinées du programme « L'avenir en commun ». La France insoumise ce n'est pas non plus celle des traine-savates quinquennaux, c'est la jeune garde qui courageusement brade les interdits de l'état d'urgence, les caméras mouchardes, les flics armés, bottés et casqués, défile fermement contre le chômage, pour la planète, contre la loi travail et sur nos mur, la nuit debout, courageusement invente et s'invente. Cela ont compris que la représentation nationale et le gouvernement en régime libéral ne peuvent pas grand-chose sans une mobilisation sociale. Ils ont compris que, contre nous, la finance, le marché sont infiniment puissants et qu'il est insuffisant de déléguer périodiquement la maîtrise de nos vies à tous ceux qui y sont destinés par leur naissance, leurs avoirs ou qui y sont appelés par leur compétence ; ils ont compris enfin qu'une chaine infiniment longue, continue de réformettes, qui renvoie chacun à la très étriquée sphère privée, ne permet aucunement la répartition équitable des richesses, l'enrichissement de la vie, le partage du pouvoir, c'est même tout le contraire. Les résultats des politiques de maquignonnage incessantes, qui autorisent, en début de quinquennat et avant l'incontournable reddition sans condition, la mise en place des mesures les plus insignifiantes d'un programme, sont toujours illusoires, temporaires et la déconfiture toujours certaine.


« Redonner le pouvoir au peuple », faudrait-il qu'il ne l'ait jamais eu ? A l'expérience d'un siècle et demi d'institutions « démocratiques », n'apparaît-il pas que la souveraineté populaire ne s'est jamais exprimée que sous la forme des captations élitaires parlementaires, c'est-à-dire affligée de toutes les confiscations propres à la délégation, abandonnée à une représentation qui ne représente qu'elle-même, dominée par des médias et des précepteurs qui ne tiennent que le discours de l'ordre dominant ? le renforcement de la démocratie dépend du renforcement du mouvement populaire et pas l'inverse naturellement ; son développement ininterrompu est un doux mirage pour midinettes mélenchonistes et la 6ème république au mieux une énorme tartuferie. On se demande si Charlotte Girard y croit vraiment – le pire étant naturellement que l'on ne peut pas l'exclure – ou si elle ne fait que retourner à ce lieu commun de la réponse des demi-habiles à ceux qui tentent de faire de la politique pour de bon, c'est-à-dire à ceux qui essayent de modifier l'ordre des choses en ses structures : la dénégation pure et le « demain on rase gratis ». L'illuminée constitutionnaliste, qui a dû prendre la foudre en passant la porte du « Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes », fait l'hypothèse d'un peuple qui se donne à Sarkozy et à Hollande ; qui tolère une classe porte-voix médiatique du libéralisme ; que l'amour de la Liberté ne soulève pas contre l'État policier mais qui cependant, touché par la sainte parole mélenchoniène, accouche d'une constitution parfaite. le refus absolument certain du très libéral conseil constitutionnel, sans l'intervention d'un nouveau miracle prédit par Sainte Girard est dit de 1958 (état insurrectionnel et transformation non holographique de l'homme providentiel en homme du 18 juin), empêche cependant définitivement un tel nouveau prodige de se réaliser.


Le très inéquitable néolibéralisme, nul ne le conteste, est un ordre de domination. Personne n'a jamais vu les dominants abandonner leurs instruments de pouvoir et quitter d'eux-mêmes, sans coup férir, leur position de domination. le vieux et démodé principe de justice, cette Rossinante fourbue que depuis des millénaires chevauchent tous les Don Quichotte de l'histoire, ne va pas sans son Sancho Panza des rapports de force. Il faut être aveugle, borné pour imaginer encore que la moindre modification du système néolibéral puisse venir du seul jeu normal des institutions politiques présentes où le système en question précisément a trouvé un inexpugnable refuge. L'exemple des organisations internationales infligeant des corrections inhumaines, répétées au peuple grec, qui n'exige pourtant pas la mise au pas de la finance avec séparation des banques d'affaire et de prêt, contrôle des mouvements de capitaux, taxe Tobin, interdictions de la titrisation, des effets de levier, des produits dérivés … mais un extrêmement modeste étalement de sa dette, devrait pourtant dessiller les yeux les plus aveuglés. La qualification de l'ONU étatsunienne en douce organisation humanitaire, la transformation des PME, pigeonniers vendéens compris, en havre du socialisme naissant et de la paysannerie française, encartée à la FNSEA, en gardienne des paysages ; la mise en commissions, pour longtemps de préférence, d'un grand nombre de problèmes (mission parlementaire spéciale sur les privatisations et les faveurs fiscales, inventaires des accords internationaux, etc.) ne changent rien aux problèmes des rapports de force.


Il faut décidément avoir une très bonne vue pour discerner dans cet « Avenir en commun » les objectifs des plans A et B concernant l'Europe. le plan A transpire l'angoisse de déchoir à un internationalisme mal pensé et apparaît comme une tentative de négociation. Cependant, il est possible dès à présent d'indiquer le résultat des courses : la rupture sous les coups de boutoir de l'ordo libéralisme allemand. le plan B n'est pas plus praticable et il s'en suivrait nécessairement un départ de l'Europe avec des réactions considérables des marchés de capitaux, des fluctuations très grandes des taux de change que l'opinion n'est nullement préparée à accepter. L'alternative pour « Les insoumis » est donc des plus simples : plier ou tout envoyer paître et assumer les conséquences douloureuses de ce choix. Mélenchon peut toujours imaginer qu'il pourra rester dans la monnaie commune et obtenir davantage que des miettes, il se raconte des histoires, l'Euro-Allemagne ne cèdera rien de significatif. Mais si les insoumis mélenchoniens, aux multiples et si semblables plans, sont prêts à se lancer dans un conflit, rassurons nous, c'est manifestement avec l'ardent désir de ne pas le faire aller trop loin et de l'arrêter sitôt qu'un gain médiocre mais présentable aura été obtenu.


« L'avenir en commun » est un invraisemblable bric-à-brac de mesures le plus souvent irréalisables, un horrible magasin qui porte tout en devanture. le score du candidat des « Insoumis » sera à n'en pas douter d'une dizaine de pourcents. Alors, Mélenchon et son programme ne cessent d'échouer ? Non, tout au contraire, il réussit remarquablement bien ! Depuis de nombreuses années maintenant, avec son mouvement, « l'homme providentiel », l'incontestable tribun capte l'attention d'une partie du mouvement social et le conduit irrémédiablement dans la même impasse, celle de la démobilisation et des élections.
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