Le lien

— Pour les musulmans, toute chose sur terre est temporelle. En cela je leur accorde une grande sagesse. Il en sera de même demain. Leur ère prendra fin, quand nous franchirons ces portes. Les remparts tomberont, la ville brûlera et Constantinople renaîtra de ses cendres.
— Tel le Phénix. J'envie votre foi, vous semblez habitée d'une confiance indéfectible.
— Il ne s'agit nullement de foi Général. De là d'où je viens, notre conception du destin n'est pas tellement différente. Rien ne pourrait être écrit à l'avance, et rien n'est immuable. Notre courage, notre volonté et nos actions déterminent notre destinée.
...
— Bien. Je vous dis à demain alors. Rêvez de triomphe et de gloire Général, car les rêves sont déjà une porte sur l'avenir.

Au matin, je trouvai le camp en effervescence. Près de dix mille hommes, armés d'épées courtes, de lances et de boucliers, se tenaient réunis, par bataillons entiers ou en phalanges, représentés par leurs stratèges et leurs commandants, montés sur des destriers aux naseaux écumant d'impatience.
Quand Akasha se présenta devant les troupes, conquérante, les généraux se réunirent à ses côtés. Alors elle s'adressa à tous, d'une voix forte et solennelle.

Quand le jour deviendra nuit, le cri strident des banshees annoncera le trépas. Les Harpies déferleront du ciel en nuée et les chevaliers d'Erèbe pourfendront les hommes, semant la mort dans leur sillage. Soldats ! Fermez vos yeux, couvrez vos oreilles, tombez à genoux. Alors vous serez épargnés. Celui qui ignorera cet avertissement alimentera le Styx de son sang.

Puis elle se tourna vers les chefs militaires.
— Je vous invite à ne pas oublier mes paroles le moment venu et à les faire respecter de tous si vous ne souhaitez pas voir votre belle armée sombrer dans les flammes de l'Enfer.

Je revins de mon expédition au milieu de la nuit, me glissant silencieusement sous la tente d'Akasha, entre-temps réparée. Elle dormait profondément, sa poitrine se soulevant doucement au rythme de sa respiration tranquille. Elle n'avait pas encore perçu ma présence et ne se réveilla pas quand je m'accroupis près de son visage pour l'observer à la dérobée. Ses traits détendus dans le sommeil lui donnaient un air paisible et doux, différent de celui qu'elle affichait quand elle était pleinement consciente. À la voir ainsi endormie, une personne non avisée aurait pu la confondre avec une frêle et innocente jeune-femme et lui aurait donné le bon dieu sans confession. Mais Akasha était loin d'être vulnérable, et encore moins inoffensive. Je le savais pour avoir fait moi-même les frais de cette regrettable erreur de jugement. Si belle et néanmoins si vénéneuse. Approcher Akasha revenait à ouvrir la boîte de Pandore ou mordre dans le fruit défendu, enrobé de douceur, dissimulant le nid de scorpions.