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Critique de Alzie


Alzie
06 février 2020
Voyager ? Pour voyager il suffit d'exister, écrivait Pessoa cité par Raphaël Meltz dans le prologue de son texte illustré par les aquarelles de Nicolas de Crécy où il imagine quatre journées fictives dans cette ville. Publié en 2001 l'album est réédité aujourd'hui, augmenté de quelques notes et d'illustrations supplémentaires. “A quoi bon voyager, si dans les livres j'en vois plus ?”, poursuit-il devenant voyageur à Lisbonne grâce à eux et s'emparant d'une myriade de documents existant sur la ville de l'illustre Fernando. Il tente le premier jour une description par procuration sélectionnant quelques récits écrits signées de voyageurs authentiques et notamment des XVIIIe et XIXe siècles (entre autres ressources il dispose de huit-cent-cinquante-huit voyages à Lisbonne depuis l'Antiquité établis à ses dires par une liste de 1896, sans compter tous ceux du XXe siècle !). Des “livres que plus personne ne lit” et qui questionnent vues de leur époque lointaine mille et une choses que le voyageur contemporain veut toujours découvrir aujourd'hui, lors d'un premier contact avec une ville inconnue ou avec ses habitants. Ces données textuelles plus ou moins fiables et objectives avec leurs approximations et préjugés accompagnent d'abord le lecteur et font ressortir l'image d'une ville peu engageante, mal construite, malpropre et malodorante selon un ambassadeur bougon dont on peut oublier le nom ; mais image irrémédiablement battue en brèche par la beauté des aquarelles attenantes de N. de Crécy et leurs éblouissants contrastes (p. 37, p. 75, p. 81), leurs escaliers plongeant dans la mer ou grimpant vers des ciels glorieux (p. 40, p. 43), par-dessus tuiles et toits enchevêtrés parfois éventrés (p. 13, p. 15, p. 29).

A côté de ces récits et souvenirs de voyages chevauchant les siècles, moult publications plus « modernes » aussi vagabondes qu'éclectiques tantôt littéraires, tantôt documentaires, journalistiques ou touristiques, d'aménagement urbain, avoisinent et mélangent allègrement leur profusion sans guillemets (quitte à induire une certaine confusion malgré une légère différence de police), aux propos directs de l'auteur qui fait pénétrer dans Lisbonne comme par effraction. Accès au port le deuxième jour, grâce à des cartes maritimes, mouillages et balises, toutes odeurs de mazout et d'embruns océaniques inclus. Lisbonne, entre secousses telluriques et vibrations du tramway, le troisième jour, ruinée par les tremblements de terre successifs, reconstruite. La ville disparue devinée sous certains pavés défoncés (aquarelles p. 46, p. 53) ; pavés alignés plus paisiblement aujourd'hui qui accueillent l'emblématique réseau lisboète en montagne russe de la CARRIS dont la ligne 18 retrace l'histoire qui se poursuit jusqu'au Canada (une voiture du tramway échouée sur la neige p. 59). Le jour des poètes et des écrivains vient enfin, Almada-Negreiros, Camoes et Pessoa, ce sera le dernier jour de ce voyage à Lisbonne alors que la question canine déjà soulevée par les voyageurs d'antan revient hanter les fantasmagories de l'illustrateur (p. 82). Cette manière brouillonne, revendiquée, hypothétique et foisonnante d'interroger la légitimité d'écrire sur un lieu ou de prétendre le connaître sans y avoir mis les pieds est ma foi très convaincante et valide pleinement les thèses de Pierre Bayard (Comment parler des lieux où l'on n'a pas été, 2012) ; au leurre du déplacement physique touristique tous azimuts se substitue dans ce magnifique album le dépaysement rêveur immobile incarné par le voyage distancié dans les livres. Lisbonne se prête parfaitement à cet exercice magnifié par la puissance graphique suggestive ou elliptique des visions de Nicolas de Crécy qui font écho au texte.
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